En entrevue avec Baleines en direct, Michel Starr, chercheur en écologie du phytoplancton chez Pêches et Océans Canada, répond à la question suivante : qu’a-t-on appris de l’exceptionnelle marée rouge d’aout 2008, qui a causé la mort de milliers de poissons, de 591 oiseaux, de 85 phoques, de 10 bélugas, de 7 marsouins et d’un jeune rorqual commun ?
Michel Starr : L’article de recherche Multispecies Mass Mortality of Marine Fauna Linked to a PST-Producing Algal Bloom que je cosigne est le premier où est décrit en profondeur un évènement de mortalité multi-espèces liée à une marée rouge. Les évènements de mortalité liés à des éclosions d’algues productrices de neurotoxines paralysantes sont des phénomènes naturels peu documentés, car les données probantes sont difficiles à réunir, et nous avons réussi à le faire.
Baleine en direct : Pourquoi est-ce si difficile à documenter ?
M.S. : Le lien direct entre une floraison d’algues toxiques, leurs toxines et le décès d’un organisme n’est pas si facile à faire. Même si l’algue en question, Alexandrium tamarense, produit une toxine qui, accumulée, peut bloquer le système respiratoire, un vétérinaire, en faisant sa nécropsie sur la carcasse, ne verra rien d’anormal. C’est seulement avec des analyses de tissus poussés, notamment au niveau du foie, qu’on peut parfois percevoir la contamination. Le cas de 2008 a reçu un suivi très serré, entre autres grâce au Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins. Grâce au programme de récupération des carcasses de bélugas, on a pu obtenir des données précieuses. Toute la chaine alimentaire a pu être analysée, et l’article que nous avons écrit permet de montrer les niveaux de contaminants à chaque maillon de la chaine.
En outre, notre recherche a permis de mettre en lumière pour la première fois le transfert de toxines entre les mères et leur fœtus chez les phoques. En effet, des prélèvements ont été faits sur des carcasses de femelles enceintes, et même les fœtus présentaient des traces de phycotoxine paralysante.
BED : Est-ce que d’autres marées rouges de cette ampleur peuvent avoir lieu ?
M.S. : Oui. En fait, la fréquence, l’amplitude et l’étendue géographique des marées rouges augmentent à travers le monde. Plusieurs facteurs favorisent Alexandrium tamarense, comme les changements climatiques qui augmentent la température de l’eau, la stratification des eaux, et la fréquence des périodes de fortes précipitations. L’eutrophisation [la surcharge de certains nutriments dans un espace donné] des eaux côtières, les eaux de ballasts charriées par les navires ou l’aquaculture (même si ce n’est pas un enjeu en ce moment dans l’estuaire du Saint-Laurent) font aussi partie des facteurs favorisant l’augmentation des algues toxiques.
BED : Que peut-on faire pour prévenir une autre marée rouge ?
M.S. : Retarder les changements climatiques ne se fera pas facilement. Par contre, là où chacun peut travailler, c’est de limiter les engrais, tant en agriculture que sur le terrain de sa maison. Par le ruissèlement, les produits se retrouvent dans le fleuve et participent à l’eutrophisation des eaux. Des recherches sont faites également sur la possibilité de contrôler les rejets d’azote, comme cela est déjà fait pour le phosphore.
BED : Si une éclosion survenait au cours de l’été, serait-il possible de l’arrêter ?
M.S. : Pour le moment, il n’y a pas grand-chose qui puisse être fait lorsqu’une éclosion survient. Une méthode expérimentale consiste à ajouter de la boue dans l’eau pour briser les cellules d’Alexandrium tamarense. Par contre, les cellules vont s’enkyster et se retrouver en bancs dans les fonds et pourraient ressortir lorsque les conditions seront à nouveau favorables. Alors vaut mieux prévenir que guérir.
En rappel :
+ L’éclosion de l’Alexandrium tamarense, un unicellulaire dinoflagellé, naturellement présent dans l’écosystème du Saint-Laurent, a eu lieu au début d’aout 2008.
+ Des carcasses de milliers de poissons, de 591 oiseaux, de 85 phoques, de 10 bélugas, de 7 marsouins et de 1 jeune rorqual commun ont été trouvées.
+ Les marées rouges sont un phénomène naturel, mais les activités humaines peuvent augmenter leur fréquence, leur intensité et leur étendue géographique.
Pour lire l’article de recherche (en anglais seulement)
Starr M, Lair S, Michaud S, Scarratt M, Quilliam M, Lefaivre D, et al. (2017) Multispecies Mass Mortality of Marine Fauna Linked to a PST-Producing Algal Bloom. PLoS ONE 12(5) : e0176299.
À lire sur Baleines en direct
Une marée rouge mobilise Urgences Mammifères Marins
Comment une algue microscopique peut-elle cause la mort d’une baleine de 45 tonnes?