Les baleines noires de l’Atlantique Nord sont l’une des espèces de cétacés les plus vulnérables de la planète. Avec moins de 350 individus au sein de leur population, ces géantes des mers sont présentement dans une situation délicate. Lorsque le sujet de leur précarité surgit, les coupables les plus souvent pointés du doigt sont les changements climatiques ainsi que les activités humaines en milieu océanique. Cependant, ces facteurs ne sont pas les seuls derrière la situation actuelle de ces baleines.

Dans son nouveau livre, «We Are All Whalers», le chercheur Michael J. Moore dresse un portrait exhaustif des défis auxquels les baleines noires font face, mettant l’emphase sur le rôle que tout un chacun joue dans leur conservation. Baleines en direct s’est entretenu avec ce chercheur passionné et philosophe.

Qu’est-ce qui vous a mené à dédier votre carrière à l’étude et à la conservation des baleines?

Au cours de mes études en médecine vétérinaire, à Cambridge, mes professeurs évoquaient souvent les mammifères marins en classe pour parler de leur physiologie. Ma curiosité en a été piquée, et j’ai par la suite épluché plusieurs livres sur le sujet. Cela m’a amené à explorer le monde des baleines en profondeur et à participer, entre autres, à un projet sur les rorquals à bosse de Terre-Neuve, au Canada, ainsi qu’à de la collecte de données sur l’efficacité de la chasse au harpon sur un baleinier islandais. Ces expériences m’ont offert une perspective complète des enjeux qui touchent ces animaux.

Après ces projets et la fin de mes études, j’ai tenté d’établir ma pratique vétérinaire aux États-Unis, mais malgré le fait que j’appréciais le contact que j’avais avec mes clients, le monde de la recherche me manquait et les baleines occupaient toujours mes pensées. Je suis donc retourné sur les bancs d’école jusqu’à l’obtention de mon doctorat. Ainsi, depuis plus de 30 ans, les baleines, particulièrement les baleines noires de l’Atlantique Nord, occupent une bonne partie de mon temps et de mes pensées.

Pourquoi sommes-nous «tous des baleiniers»?

D’après l’«Oxford English Dictionary», la définition attribuée au mot whaling  concerne toute action visant à «capturer, en particulier ce qui tente de s’échapper, prendre au piège, surprendre, dépasser, atteindre, s’emparer de…». Les pratiques industrielles modernes telles que la circulation maritime, la pêche au casier, au filet maillant et au chalut constituent toutes, quoiqu’accidentellement, une chasse à la baleine si elles «capturent» ou tuent une baleine. Les empêtrements constituent donc en quelque sorte une forme de «chasse à la baleine», faisant indirectement des gens qui pratiquent ces activités des «baleiniers».

Mais ce ne sont pas les seuls. Nous, en tant que consommateurs, créons une demande pour les produits issus de ces activités, qu’il s’agisse de poissons, de fruits de mer ou de tout item livré par la voie des mers. C’est en entretenant cette demande grandissante que nous sommes indirectement, nous aussi, des baleiniers : nos choix de vie ont un impact direct sur les enjeux liés à la survie des baleines.

C’est particulièrement vrai dans le cas des baleines noires de l’Atlantique Nord, puisqu’elles fréquentent des eaux où l’activité humaine est généralement très importante. Assurer leur survie est donc un défi de taille dans ce contexte où elles sont très vulnérables.

Quelles solutions peuvent être mises en branle pour remédier à la situation?

Pour des gens comme vous et moi, qui sommes des consommateurs, la solution consiste à tirer parti de notre consommation de produits issus de la pêche ou importés par bateau pour rendre ces activités moins traumatisantes pour les baleines. Nous sommes tous responsables de la survie des baleines, et nos choix quotidiens ont un impact sur leur réalité.

"C’est en entretenant cette demande grandissante que nous sommes indirectement, nous aussi, des baleiniers : nos choix de vie ont un impact direct sur les enjeux liés à la survie des baleines." -Michael J. Moore

Pour ce qui est de l’industrie de la pêche, plusieurs solutions peuvent être mises en place, mais le plus simple serait la réduction du nombre d’engins de pêche dans les milieux maritimes ainsi que de la quantité de cordage dans la colonne d’eau. Moins ils sont nombreux, plus les risques liés aux empêtrements de mammifères marins sont réduits. Une autre avenue présentement explorée est de remplacer les pièges traditionnels par des pièges acoustiques : il s’agit d’engins de pêche dépourvus de cordage. Ils sont localisés à l’aide d’un GPS ou d’un système acoustique et remontés en libérant à distance soit une corde flottante arrimée au fond, soit un sac gonflable. Cette technologie demeure actuellement peu répandue et ne représente qu’une faible proportion des pièges employés. De plus, ces engins sont présentement coûteux et il est plus ardu de s’en procurer que des pièges avec cordage. Cette technologie demandera donc encore un certain temps avant d’être plus accessible pour tous. Combiné à cela, l’identification en magasin de produits issus d’une pêche ayant recours à de telles mesures représente aussi une piste de solution.

Cependant, ces initiatives peuvent être coûteuses, mais les incitations réglementaires commencent à encourager un changement des pratiques actuelles, tant au Canada qu’aux États-Unis. Mais la véritable question est : « est-ce que les mammifères marins, particulièrement les baleines noires de l’Atlantique Nord, ont le temps d’attendre ces solutions qui prendront encore quelques années à se concrétiser? ».

Les mesures canadiennes des dernières années semblent porter leurs fruits, ce qui permet un peu d’optimisme. En revanche, il est plus difficile d’en dire autant du côté américain, où la grande complexité du système administratif ralentit la mise en œuvre de mesures efficaces.

« Est-ce que les mammifères marins, particulièrement les baleines noires de l’Atlantique Nord, ont le temps d’attendre ces solutions qui prendront encore quelques années à se concrétiser? » -Michael J. Moore

Actualité - 7/1/2022

Elisabeth Guillet Beaulieu

Elisabeth Guillet-Beaulieu a rejoint le GREMM en tant que rédactrice scientifique au début de l'automne 2021. Depuis toujours, elle est animée par un amour inépuisable de la biologie marine et des milieux aquatiques, amour qui se manifeste aujourd'hui dans la poursuite d'une carrière scientifique. Détentrice d'un baccalauréat en sciences biologiques, cette enthousiaste de l'environnement et de la conservation des milieux naturels a rejoint l'équipe de Baleines en direct dans l'espoir de partager sa passion contagieuse des mammifères marins tout en achevant sa maîtrise en environnement et développement durable.

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