Leucas

Béluga

ligne décoration

Adopté par Justin Trudeau, premier ministre du Canada

  • Numéro d’identification

    DL2542

  • Sexe

    Mâle

  • Naissance

    Vers 2000

  • Connu depuis

    2007

Ses traits distinctifs

Leucas est difficilement identifiable du flanc droit. Par contre, il possède une tache, comme un coup de pinceau, sur le flanc gauche. Juste sous cette tache, il porte une cicatrice profonde.

Flanc gauche, 2012
Flanc gauche, 2008
Flanc gauche, 2015

Son histoire

Notre première rencontre avec Leucas remonte à l’été 2007. À l’époque, il était un très jeune béluga gris. Revu par la suite presque chaque année, il est en 2015 légèrement gris, presque blanc. Le changement de couleur chez les bélugas, soit le passage du gris au blanc, survient entre l’âge de 12 à 16 ans. Leucas est donc né vers 2000.

Les fréquentations de Leucas nous laissent croire qu’il s’agit d’un mâle. En effet, il existe une forme de ségrégation sexuelle chez les bélugas. En été particulièrement, les mâles et les femelles vivent séparément et fréquentent des secteurs différents. On connaît trois réseaux de mâles: deux sillonnent le fjord du Saguenay et la tête du chenal Laurentien, un autre, les « Downstream boys » utilise la tête du chenal Laurentien et la portion aval de l’estuaire. Même si leurs territoires se chevauchent, les individus d’un réseau côtoient très peu les mâles des autres réseaux.

Pour l’instant, on ne peut définir le réseau de mâles et les compagnons fidèles de Leucas. À l’âge adulte, les mâles ont tendance à former des bandes de compagnons stables. Ces associations, qui s’établissent progressivement à l’âge adulte, sont possiblement importantes pour la vie reproductive des bélugas.

La suite de l’histoire de Leucas nous apprendra beaucoup sur l’évolution de la vie sociale des bélugas. Par exemple, quel secteur préfèrera-t-il en vieillissant? Qui seront ses compagnons de vie? C’est en comprenant comment vivent les bélugas que nous serons en mesure de mieux les protéger.

Historique des observations dans l’estuaire

2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020

Années pendant lesquelles l’animal n’a pas été observé Années pendant lesquelles l’animal a été observé

Dernières nouvelles

Nous voici à bord du Bleuvet, le principal bateau de recherche du GREMM, pour un projet de recherche bien particulier. Nous voulons mesurer le tour de taille des bélugas vu des airs! Grâce à notre drone, nous prenons des photos aériennes afin de voir si les bélugas mâles sont en bon état de chair et si les femelles sont enceintes. Au large de Tadoussac, nous rencontrons donc un troupeau d’une quinzaine de bélugas. Quelques jeunes nagent parmi des bélugas adultes. Un assistant de recherche lance le drone tandis qu’un autre photographie les flancs des bélugas à partir du bateau. Ainsi, nous aurons deux perspectives pour identifier les animaux. C’est alors que la tache bien distinctive de Leucas apparait. Une telle tache devrait le rendre facile à reconnaitre du haut des airs. Hélas, notre appareil volant envoie un message d’erreur et nous le ramenons à bord. Dommage, ce n’est pas aujourd’hui que nous mesurerons le tour de taille de Leucas.

L’après-midi est parfait pour la photo-identification. Il n’y a pas de vent, peu de vagues et une excellente visibilité. Nous sommes du côté de Cacouna, où nage un troupeau de vingt à trente bélugas. Les animaux se dirigent dans tous les sens, de façon désorganisée. Des groupes se font et se défont. Pour bien identifier les bélugas, nous devons photographier leur flanc gauche et leur flanc droit. Or, ils sont très actifs et difficiles d’approche. S’ils bougent dans tous les sens, leur prochaine sortie en surface est difficile à prévoir et notre positionnement aussi. Nous parvenons tout de même à photographier et identifier Leucas, DL9051 et DL9109. Un béluga nous surprend en claquant la queue. Nous aimerions bien savoir ce qui excite autant les bélugas!

En septembre, nous nous lançons en campagne intensive de biopsie. Sous un ciel ensoleillé, nous traversons le fleuve pour nous rendre près de l’ile aux Basques, vis-à-vis Trois-Pistoles. Nous trouvons un troupeau d’environ 75 bélugas, pratiquement tous des mâles. Comment sait-on que ce sont des mâles? Parce qu’ils sont en aval – un secteur surtout fréquenté par les mâles –, qu’il s’agit d’un grand groupe, que les individus sont de bonne taille et qu’il n’y a pas de très jeunes individus parmi eux. Le troupeau est très dispersé, mais on peut compter trois grands groupes de 8 à 14 individus bien en chair. Dans l’un d’eux, nous reconnaissons Leucas, qui nage en compagnie de deux adultes et d’un jeune gris. Nous voulons lui prélever une biopsie, mais nous réussissons seulement à attraper son compagnon de nage. Au final, nous réussissons à effectuer quatre biopsies.

Nous voyons Leucas à l’embouchure du fjord du Saguenay, entre la pointe Noire et la pointe Rouge. Il se trouve dans un troupeau d’une cinquantaine d’individus, incluant des adultes et quelques jeunes. Leucas nage en compagnie de Dimitri dans un groupe de 20 individus, très actifs. L’embouchure du Saguenay est une zone de rencontre! Les réseaux de mâles bélugas y croisent des troupeaux de femelles avec des jeunes. Des rassemblements s’y forment, de façon éphémère, en raison de l’abondance de nourriture.

Nous croisons la route de Leucas au large de l’île aux Basques dans le secteur de Trois-Pistoles. Il se trouve dans un troupeau d’une trentaine de bélugas, en majorité des adultes et quelques individus gris. Le troupeau est divisé en une dizaine de groupes d’un à sept individus. Tous les animaux se dirigent vers l’amont, luttant contre le courant. Nous entendons toutes sortes de vocalises, des grincements de porte, des sifflements et bien d’autres! Vers la fin de la rencontre, les animaux sont moins actifs et tournent en rond.

Le parrain

Delphi et Leucas ont été confiés au très honorable Justin Trudeau et à l’honorable Philippe Couillard, respectivement premier ministre du Canada et premier ministre du Québec par Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM, inquiet pour la survie des bélugas.


Messieurs nos premiers ministres, merci de prendre soin de Delphi et Leucas

Monsieur Trudeau, Monsieur Couillard, permettez-moi de vous présenter Delphi et Leucas. Il s‘agit de deux bélugas que je côtoie tous les étés dans le Saint-Laurent. Ils ont tous deux moins de 20 ans. Delphi est une femelle et devrait donner naissance à son premier veau bientôt. Leucas est un mâle et consacre son temps à tisser son réseau social. Ils appartiennent à une population « en voie de disparition » et ont besoin de votre aide immédiate. Si nous partageons bien le Saint-Laurent avec eux, ils pourraient vivre jusqu’en 2080!

Nos choix d’aujourd’hui façonnent le monde dans lequel ils vivront. C’est de ces choix dont j’aimerais vous parler. Mais avant, laissez-moi encore un peu vous parler de Delphi et Leucas.

Grâce à leurs marques distinctives, j’ai appris à reconnaitre un à un des centaines de bélugas. Au fil des rencontres, j’ai appris à les connaître. Au fil des années, ils m’ont raconté leur histoire, l’histoire du Saint-Laurent, et un peu notre histoire aussi.

Comme nous, les bélugas ont colonisé le Saint-Laurent. Poussés de l’Arctique par la dernière glaciation, ils ont trouvé refuge ici il y a 10 000 ans. Cartier écrivait en 1535 que moultes marsouins blancs vivaient dans cette grande rivière qu’on appelle le Saint-Laurent. Depuis, leur nombre n’a cessé de diminuer et le Fleuve aux Grandes Eaux a bien changé. Ces changements s’accélèrent et, avec eux, nos inquiétudes!

Jamais auparavant n’avons-nous eu autant conscience de ces changements. Jamais comme aujourd’hui n’avons-nous eu autant de science pour identifier, comprendre, atténuer et peut-être renverser ces changements.

Quand, dans les années 1930, les pêcheurs se plaignaient que les bélugas décimaient les saumons et les morues, nous les avons bombardés. Jusqu’en 1939, on versait des primes aux chasseurs. Cette course à l’extermination prit fin suite à une étude scientifique qui conclut que la morue et le saumon étaient rarement consommés par les bélugas.

Quelques centaines de bélugas ont survécu à cette exploitation pour se retrouver dans la période la plus toxique du Saint-Laurent, au cœur de l’ère industrielle. Suite à des décennies d’efforts pour améliorer la santé du Saint-Laurent, les contaminants bannis au début des années 1970 sont maintenant en régression dans les bélugas et les cancers qui tuaient un quart des bélugas adultes ont disparu.

Les bélugas ne sont pour autant pas sauvés des eaux. Leur population est de nouveau en déclin et la mortalité chez les femelles gestantes et les nouveau-nés est en hausse. Selon la Loi sur les espèces en péril, une population « en voie de disparition » est exposée à une disparition imminente si rien n’est fait pour contrer les facteurs menaçant de la faire disparaitre. Et maintenant, nous ne pouvons plus plaider l’ignorance.

Certaines des menaces auxquelles font face les bélugas sont difficilement réversibles. Le leg toxique, le réchauffement de l’eau et l’effondrement des stocks de poissons méritent tous notre attention, mais nous aurons besoin de plusieurs décennies pour corriger la situation. Les scientifiques qui étudient les bélugas depuis une trentaine d’années s’entendent : à court terme, nos efforts doivent être dirigés vers l’élimination des agents de stress d’origine anthropique comme les perturbations dans les zones sensibles.

Pour protéger efficacement la rainette faux-grillon, il n’a pas été nécessaire d’arrêter la construction domiciliaire au Québec, mais bien juste sur quelques hectares. Pour protéger les bélugas du Saint-Laurent, nul n’est besoin de mettre sous une cloche de verre l’ensemble de son habitat essentiel ou de fermer la voie maritime.

On connaît de mieux en mieux les habitudes et les besoins des bélugas. Nous savons que ce n’est pas une bonne idée de développer l’activité portuaire à Cacouna. La construction de nouveaux terminaux dans le Saguenay augmenterait aussi le trafic maritime dans une portion sensible de l’habitat essentiel des bélugas.

Il serait malheureux encore une fois d’opposer les bélugas au développement économique. Il serait surtout périlleux de le faire à la pièce, projet par projet. Comme le développement économique, la protection des bélugas a besoin d’une stratégie. Sinon, comme il arrive souvent, nos stratégies de développement économique gagneront de vitesse nos stratégies de rétablissement des espèces en péril.

La création d’un réseau de refuges acoustiques, sous la forme de zones de protection marine, d’aires marines protégées ou de sanctuaires dans lesquels nous éviterions d’accroître l’activité humaine pourrait protéger les bélugas. Elle nous permettrait aussi de mieux préparer l’avenir, en conjuguant nos aspirations pour un monde meilleur, pour les bélugas et pour nous. La protection des bélugas peut aussi être une fierté et un moteur pour le développement économique.

Au cours des dernières années, des millions de visiteurs sont venus à la rencontre des bélugas dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. De plus, des milliers de Québécois et Canadiens, des entreprises et municipalités ont « adopté » symboliquement des bélugas, montrant ainsi leur attachement et nous donnant leur appui pour mieux les comprendre et mieux les protéger.

Monsieur Trudeau, j’aimerais vous confier la garde de Leucas. À vous, Monsieur Couillard, je confie Delphi. Je m’engage à vous donner des nouvelles de vos protégés à chaque fois que je les rencontrerai. J’aimerais en échange que vous parveniez rapidement, ensemble, comme pour la création du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, à créer les refuges acoustiques dont Delphi, Leucas et leurs familles ont besoin.

J’espère que vous raconterez fièrement l’histoire de vos protégés à vos enfants et petits-enfants et qu’ils pourront encore, en 2080, s’émerveiller lorsqu’ils apercevront un troupeau de bélugas et y reconnaitront Delphi et Leucas.

Robert Michaud
directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM)