Leucas
Beluga

Adopted by Prime Ministre of Canada
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ID number
DL2542
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Sex
Male
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Year of birth
Circa 2000
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Known Since
2007
Ses traits distinctifs
Leucas est difficilement identifiable du flanc droit. Par contre, il possède une tache, comme un coup de pinceau, sur le flanc gauche. Juste sous cette tache, il porte une cicatrice profonde.
Son histoire
Notre première rencontre avec Leucas remonte à l’été 2007. À l’époque, il était un très jeune béluga gris. Revu par la suite presque chaque année, il est en 2015 légèrement gris, presque blanc. Le changement de couleur chez les bélugas, soit le passage du gris au blanc, survient entre l’âge de 12 à 16 ans. Leucas est donc né vers 2000.
Les fréquentations de Leucas nous laissent croire qu’il s’agit d’un mâle. En effet, il existe une forme de ségrégation sexuelle chez les bélugas. En été particulièrement, les mâles et les femelles vivent séparément et fréquentent des secteurs différents. On connaît trois réseaux de mâles: deux sillonnent le fjord du Saguenay et la tête du chenal Laurentien, un autre, les « Downstream boys » utilise la tête du chenal Laurentien et la portion aval de l’estuaire. Même si leurs territoires se chevauchent, les individus d’un réseau côtoient très peu les mâles des autres réseaux.
Pour l’instant, on ne peut définir le réseau de mâles et les compagnons fidèles de Leucas. À l’âge adulte, les mâles ont tendance à former des bandes de compagnons stables. Ces associations, qui s’établissent progressivement à l’âge adulte, sont possiblement importantes pour la vie reproductive des bélugas.
La suite de l’histoire de Leucas nous apprendra beaucoup sur l’évolution de la vie sociale des bélugas. Par exemple, quel secteur préfèrera-t-il en vieillissant? Qui seront ses compagnons de vie? C’est en comprenant comment vivent les bélugas que nous serons en mesure de mieux les protéger.
Observations history in the Estuary
Years in which the animal was not observed Years in which the animal was observed
Dernières nouvelles
It’s the perfect afternoon for photo-identification: no wind, few waves and excellent visibility. We’re in the Cacouna sector, where we are observing a herd of 20 to 30 belugas. The animals are moving in disorganized fashion in every which direction. Groups are continually forming and disbanding. To properly identify the belugas, we must photograph both their left and right flanks. However, they are very active and difficult to approach. As they are moving without rhyme or reason, guessing where they will surface next is a challenge, further complicating our task of positioning the boat. Nevertheless, we still manage to photograph and identify Leucas, DL9051 and DL9109. One beluga catches us by surprise by slapping its tail. We would love to know what’s getting these belugas so worked up!
En septembre, nous nous lançons en campagne intensive de biopsie. Sous un ciel ensoleillé, nous traversons le fleuve pour nous rendre près de l’ile aux Basques, vis-à-vis Trois-Pistoles. Nous trouvons un troupeau d’environ 75 bélugas, pratiquement tous des mâles. Comment sait-on que ce sont des mâles? Parce qu’ils sont en aval – un secteur surtout fréquenté par les mâles –, qu’il s’agit d’un grand groupe, que les individus sont de bonne taille et qu’il n’y a pas de très jeunes individus parmi eux. Le troupeau est très dispersé, mais on peut compter trois grands groupes de 8 à 14 individus bien en chair. Dans l’un d’eux, nous reconnaissons Leucas, qui nage en compagnie de deux adultes et d’un jeune gris. Nous voulons lui prélever une biopsie, mais nous réussissons seulement à attraper son compagnon de nage. Au final, nous réussissons à effectuer quatre biopsies.
Nous voyons Leucas à l’embouchure du fjord du Saguenay, entre la pointe Noire et la pointe Rouge. Il se trouve dans un troupeau d’une cinquantaine d’individus, incluant des adultes et quelques jeunes. Leucas nage en compagnie de Dimitri dans un groupe de 20 individus, très actifs. L’embouchure du Saguenay est une zone de rencontre! Les réseaux de mâles bélugas y croisent des troupeaux de femelles avec des jeunes. Des rassemblements s’y forment, de façon éphémère, en raison de l’abondance de nourriture.
Le parrain
Delphi et Leucas ont été confiés au très honorable Justin Trudeau et à l’honorable Philippe Couillard, respectivement Premier Ministre du Canada et Premier Ministre du Québec par Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM, inquiet pour la survie des bélugas.
Messieurs nos premiers ministres, merci de prendre soin de Delphi et Leucas
Monsieur Trudeau, Monsieur Couillard, permettez-moi de vous présenter Delphi et Leucas. Il s‘agit de deux bélugas que je côtoie tous les étés dans le Saint-Laurent. Ils ont tous deux moins de 20 ans. Delphi est une femelle et devrait donner naissance à son premier veau bientôt. Leucas est un mâle et consacre son temps à tisser son réseau social. Ils appartiennent à une population « en voie de disparition » et ont besoin de votre aide immédiate. Si nous partageons bien le Saint-Laurent avec eux, ils pourraient vivre jusqu’en 2080!
Nos choix d’aujourd’hui façonnent le monde dans lequel ils vivront. C’est de ces choix dont j’aimerais vous parler. Mais avant, laissez-moi encore un peu vous parler de Delphi et Leucas.
Grâce à leurs marques distinctives, j’ai appris à reconnaitre un à un des centaines de bélugas. Au fil des rencontres, j’ai appris à les connaître. Au fil des années, ils m’ont raconté leur histoire, l’histoire du Saint-Laurent, et un peu notre histoire aussi.
Comme nous, les bélugas ont colonisé le Saint-Laurent. Poussés de l’Arctique par la dernière glaciation, ils ont trouvé refuge ici il y a 10 000 ans. Cartier écrivait en 1535 que moultes marsouins blancs vivaient dans cette grande rivière qu’on appelle le Saint-Laurent. Depuis, leur nombre n’a cessé de diminuer et le Fleuve aux Grandes Eaux a bien changé. Ces changements s’accélèrent et, avec eux, nos inquiétudes!
Jamais auparavant n’avons-nous eu autant conscience de ces changements. Jamais comme aujourd’hui n’avons-nous eu autant de science pour identifier, comprendre, atténuer et peut-être renverser ces changements.
Quand, dans les années 1930, les pêcheurs se plaignaient que les bélugas décimaient les saumons et les morues, nous les avons bombardés. Jusqu’en 1939, on versait des primes aux chasseurs. Cette course à l’extermination prit fin suite à une étude scientifique qui conclut que la morue et le saumon étaient rarement consommés par les bélugas.
Quelques centaines de bélugas ont survécu à cette exploitation pour se retrouver dans la période la plus toxique du Saint-Laurent, au cœur de l’ère industrielle. Suite à des décennies d’efforts pour améliorer la santé du Saint-Laurent, les contaminants bannis au début des années 1970 sont maintenant en régression dans les bélugas et les cancers qui tuaient un quart des bélugas adultes ont disparu.
Les bélugas ne sont pour autant pas sauvés des eaux. Leur population est de nouveau en déclin et la mortalité chez les femelles gestantes et les nouveau-nés est en hausse. Selon la Loi sur les espèces en péril, une population « en voie de disparition » est exposée à une disparition imminente si rien n’est fait pour contrer les facteurs menaçant de la faire disparaitre. Et maintenant, nous ne pouvons plus plaider l’ignorance.
Certaines des menaces auxquelles font face les bélugas sont difficilement réversibles. Le leg toxique, le réchauffement de l’eau et l’effondrement des stocks de poissons méritent tous notre attention, mais nous aurons besoin de plusieurs décennies pour corriger la situation. Les scientifiques qui étudient les bélugas depuis une trentaine d’années s’entendent : à court terme, nos efforts doivent être dirigés vers l’élimination des agents de stress d’origine anthropique comme les perturbations dans les zones sensibles.
Pour protéger efficacement la rainette faux-grillon, il n’a pas été nécessaire d’arrêter la construction domiciliaire au Québec, mais bien juste sur quelques hectares. Pour protéger les bélugas du Saint-Laurent, nul n’est besoin de mettre sous une cloche de verre l’ensemble de son habitat essentiel ou de fermer la voie maritime.
On connaît de mieux en mieux les habitudes et les besoins des bélugas. Nous savons que ce n’est pas une bonne idée de développer l’activité portuaire à Cacouna. La construction de nouveaux terminaux dans le Saguenay augmenterait aussi le trafic maritime dans une portion sensible de l’habitat essentiel des bélugas.
Il serait malheureux encore une fois d’opposer les bélugas au développement économique. Il serait surtout périlleux de le faire à la pièce, projet par projet. Comme le développement économique, la protection des bélugas a besoin d’une stratégie. Sinon, comme il arrive souvent, nos stratégies de développement économique gagneront de vitesse nos stratégies de rétablissement des espèces en péril.
La création d’un réseau de refuges acoustiques, sous la forme de zones de protection marine, d’aires marines protégées ou de sanctuaires dans lesquels nous éviterions d’accroître l’activité humaine pourrait protéger les bélugas. Elle nous permettrait aussi de mieux préparer l’avenir, en conjuguant nos aspirations pour un monde meilleur, pour les bélugas et pour nous. La protection des bélugas peut aussi être une fierté et un moteur pour le développement économique.
Au cours des dernières années, des millions de visiteurs sont venus à la rencontre des bélugas dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. De plus, des milliers de Québécois et Canadiens, des entreprises et municipalités ont « adopté » symboliquement des bélugas, montrant ainsi leur attachement et nous donnant leur appui pour mieux les comprendre et mieux les protéger.
Monsieur Trudeau, j’aimerais vous confier la garde de Leucas. À vous, Monsieur Couillard, je confie Delphi. Je m’engage à vous donner des nouvelles de vos protégés à chaque fois que je les rencontrerai. J’aimerais en échange que vous parveniez rapidement, ensemble, comme pour la création du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, à créer les refuges acoustiques dont Delphi, Leucas et leurs familles ont besoin.
J’espère que vous raconterez fièrement l’histoire de vos protégés à vos enfants et petits-enfants et qu’ils pourront encore, en 2080, s’émerveiller lorsqu’ils apercevront un troupeau de bélugas et y reconnaitront Delphi et Leucas.
Robert Michaud
directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM)