Il est connu que certaines espèces d’animaux, telles que les humains ou les bonobos, prennent part à des activités sexuelles à l’extérieur de leur période de reproduction. Les grands dauphins (Tursiops truncatus) appartiennent à cette catégorie. En plus de copuler hors de la saison des amours, il n’est pas rare d’observer des femelles stimuler leur propre clitoris sur des éléments de leur environnement ou exciter celui de leurs congénères à l’aide de leur queue, de leurs nageoires ou de leur rostre.

Cela suggère que ces comportements procureraient du plaisir aux femelles, sans toutefois constituer une preuve définitive. En étudiant plus en détail leur appareil reproducteur, la chercheuse Patricia L.R. Brennan, affiliée au Mount Holyoke College, et ses collègues, ont pu confirmer que les femelles grands dauphins étaient bien douées de jouissance sexuelle.

L’organe du délice

Chez les espèces terrestres, il est possible d’estimer la capacité de jouissance des femelles en les observant lorsqu’elles se masturbent. Cependant, pour une espèce aquatique comme le grand dauphin, ce type de démarche est plus difficile à entreprendre. Ainsi, Patricia Brennan et son équipe ont plutôt emprunté la voie anatomique : ils ont récolté des carcasses de femelles et procédé à l’examen de leur appareil génital, révélant des aspects jusqu’alors inconnus de sa structure.

Un premier coup d’œil leur a d’abord permis de constater que le clitoris se situe en position antérieure de l’entrée vaginale, le rendant donc facilement accessible lors d’un accouplement. Des dissections ont également révélé la présence d’un « capuchon » qui, comme chez l’humain, enveloppe leur clitoris. La surface de ce capuchon est plissée et recouvre du tissu érectile, signifiant que le clitoris pourrait se gorger de sang, et donc à s’élargir, lorsqu’il est stimulé.

Les trouvailles ne s’arrêtent pas là! Les piliers clitoridiens, deux structures composées elles aussi de tissu érectile, sont en forme de « s » assez prononcé, ce qui procurerait au clitoris la capacité de s’étendre lorsqu’il est excité. Les corps caverneux, et le tissu spongieux qui s’y trouve, sont très similaires aux nôtres, ce qui est un autre élément indicateur de leur rôle sexuel. Les chercheurs ont de plus remarqué que les piliers sont notablement plus longs chez les spécimens adultes que chez les juvéniles, indiquant que ces structures deviennent fonctionnelles lorsque les individus atteignent la maturité sexuelle. Enfin, la présence de très nombreuses terminaisons nerveuses dans l’appareil clitoridien a été confirmée, et la couche de peau recouvrant le tout est plus mince que sur le reste de leur corps.

Toutes ces constatations suggèrent donc fortement que le clitoris des femelles grands dauphins est fonctionnel et que le stimuler peut les mener au septième ciel!

À quoi sert le plaisir coquin des dauphins?

Le plaisir sexuel des femelles peut-il mener à un orgasme lorsque leur clitoris est stimulé? «C’est difficile à dire, on ne peut pas vraiment confirmer si elles peuvent atteindre l’orgasme en se basant uniquement sur leur morphologie. Il faudrait s’appuyer aussi sur des indicateurs comportementaux pour le confirmer», explique Patricia Brennan.

Dans tous les cas, à quoi servirait le simple plaisir sexuel des grands dauphins s’il n’est pas là pour mener à l’orgasme? Il pourrait par exemple avoir comme utilité de former et maintenir des liens au sein de la population, ce qui en ferait un outil important au niveau social. «Ce pourrait aussi être une façon pour les femelles d’effectuer le meilleur choix de partenaires», complète la biologiste. «Elles pourraient identifier les mâles les plus aptes à leur procurer du plaisir lors de l’accouplement et utiliser ce critère pour sélectionner le meilleur prétendant quand viendrait le temps de se reproduire.»

En effectuant cette étude, les chercheurs ont constaté que peu de littérature décrivait l’anatomie sexuelle des cétacés et que celle-ci demeurait encore assez méconnue de nos jours, puisque le sujet est empreint d’un certain tabou dans le milieu scientifique. Les connaissances sur le sujet sont donc pour l’instant encore limitées, mais à force de les titiller, elles continueront de grandir!

Actualité - 8/2/2022

Elisabeth Guillet Beaulieu

Elisabeth Guillet-Beaulieu a rejoint le GREMM en tant que rédactrice scientifique au début de l'automne 2021. Depuis toujours, elle est animée par un amour inépuisable de la biologie marine et des milieux aquatiques, amour qui se manifeste aujourd'hui dans la poursuite d'une carrière scientifique. Détentrice d'un baccalauréat en sciences biologiques, cette enthousiaste de l'environnement et de la conservation des milieux naturels a rejoint l'équipe de Baleines en direct dans l'espoir de partager sa passion contagieuse des mammifères marins tout en achevant sa maîtrise en environnement et développement durable.

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