On savait la population des baleines noires de l’Atlantique Nord en difficulté, mais une étude vient encore souligner leur grande fragilité. Des chercheurs ont en effet comparé la condition corporelle des baleines noires de l’Atlantique Nord, aussi appelées baleines franches, avec celle de leurs cousines de l’hémisphère Sud. Le résultat est sans appel : « la condition physique de la baleine noire de l’Atlantique Nord est nettement moins bonne que celle des trois populations de baleines franches du Sud [étudiées] », souligne Fredrik Christiansen de Aarhus University, au Danemark, et auteur principal de l’étude.

Pour arriver à cette conclusion, il a fallu la collaboration de 12 instituts de recherche, dans 5 pays différents. Cette équipe internationale s’est attelée à mesurer la longueur et le tour de taille de baleines noires grâce à la photographie aérienne et à la technique dite de photogrammétrie. Trois des populations étudiées – des baleines franches australes d’Argentine, d’Australie et de Nouvelle-Zélande – sont des populations en croissance, tandis que la population de baleines noires de l’Atlantique Nord (Eubalaena glacialis) est, elle, en déclin.

Un manque de graisse alarmant

Avec moins de 410 représentants de son espèce et un taux de natalité très faible, Eubalaena glacialis, est aussi la baleine qui présente le moins bon état corporel. «Juvéniles, adultes ou femelles allaitantes: toutes les baleines noires de l’Atlantique Nord possédaient un score de condition corporel plus faible que les populations australes», souligne l’étude.

Pire, insiste Fredrik Christiansen en entrevue, «l’ampleur de différence de condition corporelle entre les femelles adultes de l’Atlantique Nord et du Sud était plus importante que ce qu’une baleine franche australe perd au cours des trois premiers mois d’allaitement, qui est considéré comme la période la plus difficile sur le plan énergétique pour les femelles dans leur cycle de reproduction.»

Or, le stockage de graisse est indispensable à la survie des baleines noires, espèces migratrices qui passent une partie de leur cycle dans les eaux froides et une partie de leur cycle à jeuner. Ce gras apporte l’énergie suffisante au déplacement, mais également à la reproduction. Le piètre état corporel des baleines noires de l’Atlantique Nord est donc alarmant, et affecte très probablement leur taux de survie, mais également leur croissance, l’âge de la maturité sexuelle, la fréquence de la reproduction ainsi que le taux de survie des veaux. « La mauvaise condition physique des individus au sein de la population est une préoccupation majeure pour sa viabilité future », s’inquiètent les chercheurs.

 

 

Les veaux épargnés?

L’une des surprises de cette étude est le bon état corporel des veaux de baleines noires de l’Atlantique Nord. En effet, ces derniers ne montrent pas de différence d’état significative avec leurs homologues de l’hémisphère Sud. Cependant, l’étude montre un lien étroit entre la condition corporelle de la mère et la longueur du veau, ce qui suggère qu’un allaitement insuffisant impacte non pas le tour de taille, mais la vitesse de croissance des veaux.

Des causes humaines

Qu’est-ce qui explique cette différence d’état corporel entre baleines noires australes et boréales ? Pour les chercheurs, elle est liée à la présence humaine dans l’habitat de la baleine noire de l’Atlantique Nord. En effet, si les populations du Sud résident dans des environnements peu investis par les humains, la population du Nord, elle, habite les zones côtières étasuniennes et canadiennes, ce qui lui a valu le surnom de «baleine urbaine». Mettant bas au large de la Floride et de la Géorgie en hiver et se nourrissant entre autres dans le golfe du Saint-Laurent en été, les baleines noires de l’Atlantique Nord partagent l’espace avec les pêcheurs de crabe, et de homards et croisent les routes des navires marchands.

L’étude pointe ainsi du doigt les nombreuses collisions ainsi que les empêtrements fréquents dans les cordages de pêche, qui, s’ils ne les tuent pas toujours, peuvent gêner et affaiblir considérablement les baleines. Une autre piste est le changement d’abondance et de distribution de la principale source d’alimentation des baleines noires, les copépodes, due aux modifications climatiques.

Les nouvelles mesures prises en 2020 pour diminuer les risques d’empêtrement et de collision (zones de fermeture « dynamiques », marquage des cordages, et diminution de la vitesse) sont donc plus que jamais d’actualité pour la sauvegarde des dernières baleines noires de l’Atlantique Nord.

Actualité - 14/5/2020

Laure Marandet

Laure Marandet est rédactrice pour le GREMM depuis l'hiver 2020. Persuadée que la conservation des espèces passe par une meilleure connaissance du grand public, elle pratique avec passion la vulgarisation scientifique depuis plus de 15 ans. Ses armes: une double formation de biologiste et de journaliste, une insatiable curiosité, un amour d'enfant pour le monde animal, et la patience nécessaire pour ciseler des textes à la fois clairs et précis.

Articles recommandés

Explorer les océans du passé grâce aux cétacés éteints

Bien avant que les baleines que nous connaissons et aimons nagent dans nos océans, de nombreuses créatures se cachaient dans…

|Actualité 11/11/2024

Il était une fois, le béluga du Saint-Laurent…

Résident à l’année dans le Saint-Laurent, le béluga suscite beaucoup d’admiration. Avec leur bouche sympathique toujours porteuse d’un sourire, les…

|Actualité 23/10/2024

Le rorqual de Rice, une espèce nouvellement découverte et déjà proche de l’extinction

Bien qu'il n'ait été découvert qu'en 2021, le rorqual de Rice est l'une des baleines les plus menacées au monde.…

|Actualité 3/10/2024