Les cachalots sont-ils réellement aussi solitaires qu’on l’imagine? La réponse pourrait vous surprendre. En effet, vous étiez probablement loin de vous douter que ces créatures marines mythiques vivaient en clans pouvant atteindre les 20 000 individus. C’est pourtant ce que rapporte un article du biologiste Hal Whitehead de l’Université Dalhousie, paru en janvier 2024 dans le journal Royal Society Open Science. Sept de ces clans ont été identifiés dans l’océan Pacifique. Pourtant, les surprises ne s’arrêtent pas là! Chacun de ces larges clans possède sa propre culture basée notamment sur la communication.

Une hiérarchie exponentielle!

En y pensant, observer 20 000 cachalots nager côte à côte dans le Pacifique semble très peu réaliste. Effectivement, les membres de ces immenses clans ne se déplacent pas tous ensemble. Ils sont plutôt divisés en groupes ne comptant pas plus d’une trentaine de cachalots. Ces groupes sont eux-mêmes constitués d’unités sociales d’environ 10 individus. Bien qu’il ne soit pas rare de croiser des groupes de cachalots, ceux-ci sont généralement éphémères. Les quelques unités sociales ne se rassemblent que pour une courte durée – de quelques heures à quelques jours. Mais attention! Les unités sociales se regroupant font toujours partie du même clan.

L’impressionnant passage de groupes de 30 individus à la formation de clans regroupant 20 000 cachalots mène à croire qu’il pourrait potentiellement exister plusieurs autres niveaux hiérarchiques au sein des clans. Cela reste à découvrir!

Une culture basée sur la communication

Comment est-il possible de différencier les clans de cachalots ? Les distinctions les mieux établies par les chercheurs sont les dialectes vocaux caractéristiques de chaque clan. Entre autres utilisé pour l’écholocalisation de leurs proies lors de la chasse, l’organe du spermaceti situé dans l’immense tête de ces géants marins leur permet aussi de communiquer entre eux.

Les dialectes vocaux de ces mammifères marins sont faits sous forme de codas, des séries de vocalisations de quelques secondes appelées « clics » pouvant rappeler le code morse. Les codas peuvent être distingués par leur motif – nombre de clics dans une séquence, rythme et silences entre les clics.

Une récente étude de la chercheuse Taylor A. Hersh démontre comment certains codas sont utilisés comme marqueurs symboliques entre les clans. Un marqueur symbolique permet d’identifier un groupe culturel. Chez les humains, il pourrait se présenter sous forme de tatouage, d’hymne, ou comme chez les cachalots, de dialecte. En effet, chaque clan possède des codas d’identité suivant toujours un motif propre au clan. Ainsi, les codas semblent agir comme des signaux entre les cachalots leur permettant d’identifier le clan d’origine de leurs semblables. C’est en écoutant et analysant les motifs de ces codas qu’il a été possible d’établir la présence de sept différents clans de cachalots se déplaçant dans l’océan Pacifique. Les codas d’identité ont également une place importante au sein de la structure sociale des clans. Grâce à eux, une unité sociale peut choisir d’autres unités pour former un groupe d’un même clan.

Les cachalots sont des mammifères marins pouvant être observés aux quatre coins de la planète. Il est d’ailleurs possible de les observer dans le fleuve Saint-Laurent. Étant donné que la répartition géographique des clans peut couvrir un très grand territoire – du Japon au Chili -, il n’est pas rare que plusieurs clans se côtoient dans une même zone. Les codas enregistrés chez deux clans cohabitant dans un même territoire ont plus de chance d’avoir un motif dont la différence est plus prononcée.

Des sociétés féminines

Étant matrilinéaires, les clans se composent uniquement de femelles et de leurs veaux. Les tâches concernant l’élevage des petits – l’éducation, l’alimentation et la protection – sont partagées entre les adultes dans chaque unité sociale. Les femelles vont rester au sein d’un même clan toute leur vie.

L’éducation des veaux permet la transmission de la culture. Grâce à leur mère et leur unité sociale, les petits apprennent les dialectes vocaux ainsi que les comportements propres à leur clan, notamment des techniques de chasse uniques et la manière d’organiser la protection des veaux. C’est une culture qu’ils garderont toute leur vie.

Et les mâles dans tout ça ? Après tout, il est bien possible d’observer des cachalots vagabonder seuls en mer. Alors que les femelles restent groupées toute leur vie, l’Encyclopedia of Marine Mammals décrit un comportement bien différent chez les mâles. Avec un bagage culturel acquis grâce à leur mère, ils quittent l’unité familiale ayant bercé leur jeunesse pour rejoindre des groupes plus libres constitués uniquement d’autres jeunes mâles. Ils finissent toutefois par se séparer et monter, seuls, vers les eaux plus froides du globe. À la maturité, ils reviennent vers les femelles pour se reproduire, mais ne s’attardent plus que quelques heures par unité sociale. Les mâles ne se gênent pas pour s’accoupler avec les femelles d’autres clans, comme le mentionne Whitehead.

De nouvelles sociétés à découvrir?

L’étude des différents clans de cachalots génère des discussions concernant la présence de possibles cultures semblables chez d’autres espèces marines. Dans une entrevue  aux Années Lumières à Radio-Canada, Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM, se questionne sur la présence de ces cultures chez les bélugas du Saint-Laurent. Semblablement aux cachalots, c’est l’étude des répertoires vocaux dans des communautés de femelles qui pourrait bien mener à la découverte de toutes nouvelles cultures! Les portes de la recherche sont grandes ouvertes.

Actualité - 1/2/2024

Océane Denis

Océane Denis est stagiaire en rédaction pour Baleines en direct à l’hiver 2024. Grande amoureuse de la nature et des animaux, elle souhaite partager ses passions à travers l’écriture. Océane est à sa deuxième année de baccalauréat en études de l’environnement à l’Université de Sherbrooke.

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