À en croire les moteurs de recherche, c’est une question qui passionne les foules: les baleines sont-elles capables d’émettre des flatulences, des gaz… bref, des pets? Face à un tel engouement pour le sujet, l’équipe de Baleine en direct a pris à cœur de répondre aux interrogations de ses lecteurs. Malheureusement, c’est à regret que nous avons réalisé que les pets de baleine sont les parents pauvres de la science, et n’ont jamais fait l’objet de recherches formelles. Qu’à cela ne tienne, nous avons enquêté.
Un sous-produit de la digestion
«La définition médicale d’une flatulence, c’est l’émission d’un gaz produit lors de la digestion, puis expulsé par l’anus», précise Nicholas Caruso, chercheur à Virginia Tech et coauteur avec Dani Rabaiotti du livre «Tu pètes ou pas? Le guide ultime de la flatulence animale». Pour être capable de péter, notre amie la baleine doit tout d’abord être capable de produire des gaz lors de sa digestion. Est-ce le cas? Très probablement!
Chez les mammifères, des gaz intestinaux (azote, oxygène, méthane, souffre…) sont généralement produits pendant le travail du système digestif. Lors de leurs recherches, les deux auteurs n’ont pu trouver qu’un seul mammifère qui n’émettait aucune flatulence: le paresseux. «Plus le système digestif est long et plus le processus de digestion est lent, plus ces gaz ont le temps de former des poches, précise Nick Caruso. Chez les paresseux, la digestion est tellement lente que l’accumulation de gaz pourrait être fatale, et ces animaux ont développé un système de réabsorption des gaz. »
En dehors de ce cas très spécial, tous les mammifères seraient donc capables de produire des gaz digestifs, mais leurs aptitudes varient selon leur alimentation et leur physiologie. «Les herbivores, qui digèrent plus lentement et ont une grosse activité digestive en fin de tube, pètent ainsi plus fréquemment que les carnivores», suggère le chercheur. Les vaches, qui possèdent plusieurs compartiments dans leur estomac et ruminent, sont les championnes toutes catégories de la quantité de gaz émis.
Doutes et interrogations
À la lumière de ces connaissances, que penser de la capacité des baleines à produire des gaz de digestion? Eh bien, à l’instar de leurs proches cousines les vaches, les baleines possèdent des estomacs à multicompartiments, suivi d’un long tube digestif. Selon les observations de Pierre-Henry Fontaine dans le guide «Baleines et phoques», les intestins des mysticètes mesurent environ 5 à 6 fois la longueur de leur corps, ce qui signifie que le tube digestif de la baleine bleue peut mesurer jusqu’à 150 m! Même si ce ne sont ni des herbivores ni des ruminants, les mysticètes ingèrent une grande quantité de crustacés, dont la carapace, composée de chitine, pourrait être une source importante de gaz digestifs. Ces éléments penchent en faveur des flatulences de baleine.
Deux doutes subsistent néanmoins pour trancher de manière catégorique. D’abord, la rapidité de digestion, sur laquelle il existe peu de données pour les baleines et qui peut varier d’une espèce à l’autre. Un métabolisme rapide et efficace ne serait pas propice à la formation de pets.
Ensuite, le sphincter des baleines est relativement lâche (mettons que les cétacés n’ont pas besoin de se retenir le temps de trouver les toilettes!), il est donc possible que les gaz n’aient pas le temps de s’accumuler, mais soient éliminés au fur et à mesure. Plusieurs observateurs mentionnent ainsi de grosses bulles au moment de l’excrétion de fèces. Des chercheurs travaillant en Antarctique en 2003 ont même réussi à photographier ce moment.
Et sur le terrain?
Si les baleines sont apparemment capables de péter, rares sont ceux qui assistent à un tel phénomène. À la recherche d’anecdotes flatulentes, nous avons interrogé les chercheurs et assistants de recherche du GREMM. Déception! Malgré des milliers d’heures passées sur l’eau en compagnie des cétacés, aucun d’entre eux n’a jamais pu identifier formellement des pets de rorquals ou de bélugas. Il nous faudra finalement lancer un appel international pour obtenir quelques témoignages de première main.
C’est Amy Tudor, qui travaille sur les croisières d’observation Mariner Cruises, dans la baie de Fundy, qui nous a relaté la meilleure et la plus intrigante anecdote:
«J’observe les baleines depuis 2015, et je n’ai vu le phénomène que deux fois, la première avec le rorqual à bosse nommé Bayou, et la deuxième fois avec Sockeye. Étonnamment, ces deux baleines sont des «observateurs» de personnes : ils sont souvent autour du bateau, à se montrer.»
«Ces deux vidéos datent de 2017, avec Bayou. Je me souviens avoir vu de grosses bulles remonter à la surface. Elles étaient plus ovales que rondes, de la taille d’une pastèque. Puis il y a eu un énorme nuage de bulles. Nous nous demandions encore quelle était la source des bulles… jusqu’à ce que nous ayons un visuel ! Lorsque Bayou a roulé sur le côté près de la surface, nous avons pu constater que la source n’était pas la bouche ou le museau, mais venait de sous la queue. Puis vint l’odeur…»
Et si jamais vous aviez un doute: les flatulences de baleines ne sentiraient pas particulièrement bon. En cause, très probablement, leur régime alimentaire à base de poissons ou de crustacés, ainsi que la quantité importante de gaz émis. «L’odeur n’était pas comme celle de l’haleine, ni comme celle d’un pet de mammifère terrestre, précise Amy Tudor. C’était un mélange d’haleine de hareng et d’odeur de salade pourrie. C’est assez bizarre et difficile à décrire. Sur la vidéo, vous pouvez voir la réaction des clients quand l’odeur est arrivée!»
Phoques puants et lamantins flottants
Lors de ses recherches pour son livre, Nick Caruso a posé la question à de nombreux soigneurs et vétérinaires pour trouver l’espèce dont les flatulences étaient les plus malodorantes. «L’une des réponses les plus fréquentes était les phoques et les lions de mer! On notera d’ailleurs que ces animaux ont également le pet très bruyant, comme l’ont constaté des biologistes qui campaient proche de colonies de pinnipèdes pour les étudier.» Pour l’auteur, il est assez logique qu’un animal qui se nourrit de poissons et de fruits de mer émette des gaz riches en souffre, et donc particulièrement nauséabonds.
Du côté des lamantins, le pet est carrément un mode de vie. «Ces animaux modifient le volume de gaz présents dans leur tube digestif pour modifier leur flottabilité», raconte Nick Caruso. En clair, quand ils veulent rester en surface, ils laissent les gaz s’accumuler, et quand ils ont besoin de plonger, ils libèrent du gaz en pétant. Pratique!
En savoir plus
- Caruso, N. et Rabaiotti, D., Tu pètes ou pas? Le guide ultime de la flatulence animale (Marabout, 2019)