Grâce à un nouveau modèle statistique, des chercheurs du gouvernement états-uniens et de l’aquarium de Nouvelle-Angleterre sont en mesure d’estimer de façon plus précise la population de baleines noires de l’Atlantique Nord et de détecter plus rapidement une croissance ou un déclin. Leurs résultats sont alarmants : cette population, qui compte moins de 500 individus, est en déclin depuis 2010 et la proportion de femelles est en baisse.

Comment estime-t-on une population?

Malgré l’imposante taille d’une baleine, estimer sa population n’est pas chose facile. Les baleines passent souvent beaucoup de temps sous l’eau, cachées dans l’immensité de l’océan. Les baleines noires, en particulier, sont très mobiles et sont réparties sur un vaste territoire, allant de la Floride jusqu’au golfe du Saint-Laurent et au-delà, parfois jusqu’au nord de la Norvège. Nulle part, parmi leurs habitats privilégiés, ne peut-on retrouver toutes les baleines noires au même moment. Cependant, leur utilisation saisonnière et régulière d’habitats bien connus dans les eaux côtières (le long de la Floride et de la Géorgie en hiver et dans le golfe du Maine à longueur d’année) a permis aux chercheurs de créer un catalogue photographique presque complet de la population. Chaque année, depuis plus de 30 ans, les chercheurs observent les baleines noires, les identifient individuellement et suivent l’évolution de cette petite population.

Pour estimer la population, deux méthodes étaient utilisées jusqu’à présent. La première consiste à calculer le nombre minimum d’individus vivants. Un individu est calculé comme vivant s’il a été observé cette année-là ou bien s’il a été observé une année précédente ainsi qu’une année suivante. Par exemple, une baleine vue en 2011 et en 2013 sera comptabilisée comme vivante pour l’année 2012. Cette estimation est habituellement inférieure à la population réelle — particulièrement pour les années les plus récentes —, puisqu’elle n’inclut pas les animaux vivants qui ne sont pas encore catalogués et les animaux qui sont encore vivants, mais qui n’ont pas été observés au cours des dernières années.

Une deuxième méthode est utilisée chaque année par le North Atlantic Right Whale Consortiumet diffère de la méthode précédente en ce sens qu’une baleine cataloguée est présumée vivante jusqu’à ce qu’elle soit observée morte ou jusqu’à six ans après la dernière observation. Cette approche risque donc de ne pas détecter rapidement un véritable déclin de la population.

La nécessité d’une nouvelle méthode

Ces dernières années, les baleines noires semblent avoir modifié leurs aires estivales et hivernales et moins de ressources ont été allouées à la photo-identification. En conséquence, la probabilité de trouver et d’identifier chaque baleine vivante est réduite, ainsi que la fiabilité des méthodes d’estimation précédentes, basées principalement sur le recensement.

La population est-elle réellement en déclin ces dernières années ou les chercheurs n’ont-ils tout simplement pas été en mesure d’observer une grande proportion des baleines vivantes? Pour répondre à cette question, les chercheurs ont développé un modèle statistique pour estimer la population. Comparativement aux méthodes précédentes, ce modèle est moins affecté par les changements au niveau de la répartition des baleines, dépend moins de la fréquence des observations et tient mieux compte des individus toujours vivants, mais rarement observés.

Des résultats alarmants

Suite à une croissance moyenne de 2,8 % par année entre 1990 et 2010 (passant d’environ 270 à 483 individus), la population a ensuite chuté pour atteindre environ 458 individus en 2015 et ce déclin touche plus particulièrement les femelles adultes. Le nouveau modèle ne laisse pas de doute : la probabilité que cette population soit en déclin depuis 2010 est de 99,99 %.

Malgré les contraintes des dernières années, à la fois biologiques (changements dans la répartition géographique des baleines) et logistiques (moins de ressources disponibles pour la photo-identification), il est possible, grâce à ce nouveau modèle statistique et grâce à l’ensemble des données collectées au cours des trois dernières décennies, de détecter ce déclin relativement récent dans la trajectoire de cette population. Pour protéger une si petite population, il est essentiel de pouvoir détecter rapidement sa croissance ou son déclin. 

Actualité - 2/10/2017

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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