Il est 21h, et une dizaine de kayakistes s’aventurent sur le Saint-Laurent pour une excursion avec la compagnie Mer et Monde. La mer se confond avec la nuit, l’eau est glaciale: rien de rassurant pour les inquiets. Mais après quelques minutes de navigation, un éclair de lumière surgit dans le sillon d’un coup de pagaie. Bientôt, la surface de l’estuaire semble scintiller. Les kayakistes ont la chance d’assister à un spectacle réservé à la nuit: la bioluminescence.

Comment scintiller?

Malgré l’émerveillement qu’elle peut susciter, la bioluminescence n’est pas d’origine surnaturelle, il s’agit d’une lumière émise par des organismes vivants! Peut-être connaissez-vous la luciole? Comme la plupart des espèces bioluminescentes, elle s’illumine grâce à une réaction biochimique. Dans son photophore, un organe dédié à la bioluminescence, se trouvent une protéine et une enzyme: la luciférine et la luciférase. Lorsque ces deux éléments entrent en contact, la luciférine s’oxyde. C’est ce qui provoque la lumière iridescente qu’on peut apercevoir les soirs d’étés.

Les espèces bioluminescentes sont aussi très nombreuses dans l’océan: crustacés, méduses, étoiles de mer, poissons-lanternes ou même calmars géants! Cependant, plus de 90% d’entre elles se trouvent dans les abysses, où elles doivent se repérer dans un monde autrement sans lumière.

De quelles espèces provient donc la bioluminescence qu’on aperçoit à la surface du Saint-Laurent?

Un spectacle accessible

De minuscules organismes planctoniques émettent de la lumière à la surface. Certaines variétés de phytoplancton ou de zooplancton, telles que les dinoflagellés ou le krill, sont en effet reconnues pour leur production de lumière verte ou bleutée. Un observateur attentif pourra distinguer leur bioluminescence de la rive. Mais selon David Bédard, gestionnaire et ancien guide chez Mer et Monde, il faut s’aventurer à au moins 50 mètres des côtes pour l’observer en grande quantité, là où remontent les courants venus des profondeurs. Ces courants ramènent en surface des matières riches en nutriments qui permettent aux organismes planctoniques de proliférer. Ainsi, lorsque la nuit tombe, ces zones riches de vie scintillent.

Scintiller…encore plus!

Le plancton bioluminescent ne brille pas toujours à la même intensité. Une autre source de lumière, par exemple un ciel étoilé ou de la pollution lumineuse, peut réduire sa visibilité. À l’inverse, le scintillement d’espèces telles que les dinoflagellés peut être amplifié par une stimulation mécanique. Un courant plus rapide ou même un léger contact suffisent à accélérer la réaction biochimique menant à leur bioluminescence. C’est ce qui permet à un kayakiste de créer un sillon vert éclatant lorsqu’il laisse trainer sa pagaie parmi des organismes bioluminescents.

Un simple mouvement ne suscite qu’un bref éclat, mais une stimulation plus intense peut provoquer un spectacle mémorable. Par exemple, grâce à leurs mouvements rapides et puissants, des dauphins se sont déjà illuminés en nageant parmi les organismes bioluminescents de Newport Beach.

Qu’arriverait-il si un plus gros animal, par exemple un petit rorqual, surgissait dans une zone bioluminescente? David Bédard et son équipe font partie des rares chanceux ayant assisté à un tel spectacle dans le Saint-Laurent. En 2015, lors d’une nuit couverte où la lumière du plancton est particulièrement éclatante, ils entendent un souffle.

«On ne pouvait pas le voir, mais la nuit sombre nous permettait d’imaginer qu’il n’était pas très loin. Et là, tout à coup, à environ 200m de nous, l’animal a sorti la tête pour s’alimenter, et on aurait dit que tout s’illuminait. Autant sa tête que l’eau autour de lui! C’était du jamais vu pour moi!», relate David.

Ce type d’évènement s’avère difficile à capter en vidéo ou en photos. Mais grâce aux récits qu’en ont faits les marins, les scientifiques ou même les kayakistes, on sait que chaque nuit se déroule dans l’estuaire des spectacles lumineux, autant en profondeur qu’en surface.

Les baleines en questions - 9/10/2020

Gabrielle Morin

Gabrielle Morin s’est jointe à l’équipe de Baleines en direct à l’hiver 2020 en tant que stagiaire. Étudiante en littérature, elle s’implique dans le milieu littéraire de la ville de Québec et écrit à temps perdu. Son amour des baleines est né sur les berges de l’estuaire du Saint-Laurent et l’a poursuivie jusqu’à Lévis. Depuis, elle le nourrit grâce à la lecture d’ouvrages scientifiques et à des expéditions estivales. Elle croit que sa passion de la littérature et des mammifères marins naissent d’une même volonté: capturer, et surtout partager son émerveillement.

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