Dans la mer Méditerranée vit une population unique de rorquals communs qui a évolué séparément de la population de l’Atlantique Nord, ce qui lui confère une signature génétique distincte. Des scientifiques ont porté leur attention sur cette population pour étudier un comportement peu commun chez cette espèce, le breach. Ils ont mis en lumière deux facteurs : l’un d’origine sociale, l’autre d’origine humaine, qui influencent tous deux la probabilité qu’un breach se produise.

Propulser quarante tonnes hors de l’eau

Le rorqual commun, la deuxième plus grosse baleine après le rorqual bleu, n’est que rarement aperçu sautant hors de l’eau. En effet, la présente étude a révélé qu’aussi peu que 3,74% des observations comptaient des breachs. Sur 721 rencontres avec ces mammifères marins, seulement 27 sauts ont été répertoriés. Afin qu’un saut soit considéré comme un breach, au moins 40% du corps de l’animal doit être propulsé dans les airs. Pour ce faire, ce géant des mers a besoin de la même quantité d’énergie requise par une personne de 60 kg pour courir un marathon! Les breachs demandent donc à l’animal de consommer beaucoup de son énergie. Pas surprenant que ce ne soit pas un comportement qu’ils adoptent souvent!

Sauter pour ses congénères, mais pas pour les bateaux!

Les auteurs·trices d’un récent article ont exploré de potentielles associations entre les breachs de rorquals communs ainsi que des facteurs de nature sociale, environnementale et humaine. La population à l’étude réside dans l’ouest de la mer Méditerranée et les individus effectuent des migrations saisonnières. Ils se déplacent vers le nord au printemps pour se retrouver, entre autres, dans leurs aires d’alimentation du bassin Liguro-Provençal d’avril à septembre. À l’automne, ils commencent leur déplacement vers le sud pour rejoindre leurs aires de reproduction sur les côtes nord-africaines. Les observations pour ce projet ont pris place à partir de traversiers qui relient l’Italie à l’Espagne.

Les résultats de cette étude dévoilent deux variables qui seraient associées au breach. La première est la distance entre la plateforme d’observation et les baleines. Une distance importante entre les baleines et le traversier, soit plus de 1000 mètres, correspondait à une probabilité plus élevée d’apercevoir ce comportement exceptionnel. De ce fait, la majorité des sauts répertoriés ont pris place dans ces conditions. À l’opposé, une plus grande proximité du bateau par rapport aux baleines semblait décourager les breachs. Seulement 3 sauts ont eu lieu à moins de 200 mètres du traversier. Ainsi, les auteurs·trices considèrent la présence du bateau comme un facteur qui décourage le comportement. La deuxième variable identifiée est la distance observée entre les rorquals communs eux-mêmes lors d’une même traverse.  La distance moyenne varie au gré des saisons : elle est moins marquée au printemps, augmente à l’été, puis prend encore plus d’ampleur à l’automne, changeant au rythme des migrations.

D’autres éléments liés au breach ont également été mis de l’avant. Par exemple, les breachs étaient plus fréquents en été et en automne, alors qu’aucun n’a été répertorié en hiver. La majorité de ces événements, soit 75%, a été observée chez des baleines solitaires. Dans le Sanctuaire Pelagos, un espace maritime situé entre l’Italie et la France destiné à la protection des mammifères marins, les groupes de plus grande taille semblaient encourager ces sauts, en comparaison aux groupes plus petits.

Une question qui brûle les lèvres

Bien que les grandes baleines se livrent régulièrement à des sauts hors de l’eau, les raisons qui sous-tendent ces démonstrations grandioses sont encore peu connues. Comment l’expliquer? C’est l’identification de différents facteurs, lesquels sont associés à une augmentation ou à une diminution de la fréquence des sauts, qui permet aux chercheurs et chercheuses d’émettre des hypothèses quant à leurs raisons d’être.

Dans cette étude, la proximité du bateau avec les rorquals communs a été identifiée comme un élément qui inhibait le comportement de breach. Les auteurs ont donc émis l’hypothèse que cette perturbation d’origine humaine pouvait entrainer une modification de leur comportement. L’autre facteur associé à ce comportement, soit la distance entre les baleines, porte à croire que les breachs auraient une fonction de communication entre les individus. Toutefois, le message véhiculé pourrait varier en fonction de la saison et de leur activité principale à ce moment de l’année.

Les individus de cette population effectuent des breachs plus fréquemment l’été, sur les aires d’alimentation, ce qui amène les scientifiques à suggérer que ce comportement pourrait indiquer une bonne santé et la possibilité de refaire le plein d’énergie rapidement. Toujours durant la saison estivale, dans le secteur du Sanctuaire Pelagos, ces comportements étaient aussi associés à des groupes comptant un plus grand nombre d’individus. Toutefois, puisque les sauts sont vus principalement l’été lorsque la densité de baleines est à son apogée, il est difficile de dire si c’est la saison de l’année ou l’agrégation d’individus qui est en cause. Cependant, ce sont des baleines solitaires qui sautaient hors de l’eau à l’automne, ce qui indique possiblement une fonction reproductive ou sociale. Un fait intéressant, aucun breach n’a été effectué par une baleine juvénile!

Cette étude met en évidence le grand mystère qui plane  sur ce comportement chez les grandes baleines. Toutefois, à défaut de pouvoir bien l’expliquer, nous pouvons tout de même continuer à l’admirer et à se laisser éblouir!

Pour en savoir plus

  • (2022) Campana, I., Farace, I., Paraboschi, M., Arcangeli, A. Analysis of environmental, social, and anthropogenic factors as potential drivers of breaching behavior in the Mediterranean fin whale. Marine Mammal Science 2023: 1-17
Actualité - 24/8/2023

Véronique Genesse

Véronique est biologiste et rédactrice pour Baleines en direct. Elle a découvert son amour pour les baleines suite à d'inoubliables rencontres avec ces géants des mers et s'est intéressée à leur conservation après avoir pris connaissance des menaces auxquelles elles sont confrontées. Elle croit que l'implication du public est primordiale afin d'assurer le succès des projets de conservation.

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