Chaque été, les rorquals communs viennent dans les eaux productives du Saint-Laurent pour s’alimenter, avant de repartir à la fin de la saison. Où se rendent-ils durant l’hiver? Une équipe de Pêches et Océans Canada (MPO) s’est penchée sur ce mystère à résoudre, en posant 28 balises satellites sur des rorquals communs entre 2014 et 2021. Les résultats de l’étude, parue le mois dernier dans le journal Nature, ont révélé que les rorquals communs n’auraient pas une aire commune de migration en hiver.

Suivre un rorqual commun? Pas si facile!

Grâce à des permis de recherche, Pêches et Océans Canada réalise des poses de balise sur des rorquals communs. L’objectif est de comprendre le déplacement et le comportement des rorquals communs en hiver sur de longues périodes et distances. Mais étudier la migration de rorquals communs ne se révèle pas être une tâche facile!

« C’est avec précaution et une grande habileté qu’il faut s’approcher des rorquals communs, même si cette espèce est peu réactive lors de la pose des balises », révèle Christian Ramp, chercheur au MPO ayant participé à l’étude. La pose de balise requiert l’utilisation d’une perche, d’une arbalète ou d’une carabine modifiée qui doivent être maniées avec précaution.

« Les rorquals communs, comme tout autre cétacé, sont imprévisibles. Il m’est déjà arrivé de surprendre un rorqual commun lors d’une pose de balise. La tentative a raté, la balise est tombée dans l’eau devant le rorqual, entraînant une vive réaction de sa part », raconte Christian. « Il faut toujours rester vigilant une fois à proximité de ces géants des mers. »

Le maintien des balises sur les rorquals: un défi majeur

Une fois accrochée sur le rorqual, la balise émet un signal satellite chaque jour. Cependant, son maintien n’est pas assuré sur le corps hydrodynamique de ces grands rorquals, ce qui représente une difficulté supplémentaire à l’étude!

« Si la balise n’est pas maintenue assez longtemps, la trajectoire de migration de l’individu ne peut être déterminée », informe Christian.

Sur les 28 individus ayant reçu une balise, seulement 8 ont gardé la leur assez longtemps pour observer une migration. Ces huit individus avaient une trajectoire similaire, direction sud-est, de l’estuaire du Saint-Laurent jusqu’au détroit de Cabot entre fin octobre et début janvier. Mais une fois au-delà du golfe Saint-Laurent, 5 ont été suivis jusqu’à mi-janvier.

Une dispersion des individus en hiver?

Les cinq rorquals communs se sont tous rendus dans des eaux plus chaudes, supérieures à 22°C. Mais chose surprenante, ils ont tous présenté des trajectoires de migrations différentes! Un des rorquals a préféré sortir du plateau néo-écossais au large du plateau continental canadien, avant de revenir dans le golfe du Maine. Un autre s’est rendu vers les monts sous-marins de Corner Rise. Les trois derniers rorquals se sont rendus jusqu’aux Bermudes, dans un laps de temps variant de 17 à 20 jours. Chacun s’est ensuite dispersé, le premier ayant doublé sa trajectoire en se rendant vers les monts sous-marins de la Nouvelle-Angleterre. Le deuxième a contourné les Bermudes pour se rendre au nord des Bahamas. Le troisième, quant à lui, s’est déplacé vers le sud, avant de décider de faire demi-tour et repartir vers le nord du plateau néo-écossais, en passant à l’ouest des Bermudes.

Une évolution possible de la migration dans un environnement en changement ?

Est-ce que ce maintien de la population de rorquals communs proche du golfe du Saint-Laurent et dans l’Atlantique du Nord-Ouest a toujours été ainsi, ou résultent du changement climatique? Difficile à dire.

Les eaux de l’Atlantique Nord Ouest sont parmi les plus rapides à se réchauffer sur notre planète. Durant l’hiver 2010, un fort épisode de réchauffement des eaux a été enregistré dans le Saint-Laurent. Ce réchauffement continue à être observé aujourd’hui. Il est à prévoir que ce changement de température puisse influencer la migration des rorquals communs. Avec la perte de couverture de glace d’année en année dans le Saint-Laurent, les rorquals communs semblent arriver de plus en plus tôt.« Si la nourriture est abondante durant l’hiver et qu’il n’y a plus de couverture de glace, il est possible que les rorquals communs n’aient pas besoin de quitter le Saint-Laurent et restent à l’année », ajoute Christian.

Toutefois, cela reste une hypothèse. Une étude portant sur la population de rorquals communs dans la mer Méditerranée a mis en évidence une présence à l’année d’une sous-population. Dans un contexte de réchauffement des eaux, la population de rorqual commun pourrait-elle devenir résidente à l’année dans le Saint-Laurent dans le futur?

La route vers une meilleure compréhension de la migration et de la distribution des rorquals communs de l’Atlantique Nord Ouest est encore longue. Notamment, l’aire de reproduction des rorquals communs est encore inconnue. L’ensemble des cinq rorquals communs avait une vitesse de déplacement supérieure à 10 km/h. Cette vitesse de nage semblerait indiquer un déplacement transitoire, et serait trop rapide pour la  reproduction. Où se reproduisent donc les rorquals communs, s’il n’existe pas une aire commune de migration en hiver? Cette question reste encore en suspens…

Une nouvelle étude est à venir, avec des satellites et des balises plus performantes pour assurer une meilleure précision du suivi des rorquals communs.

Affaire à suivre!

Actualité - 22/7/2024

Chloé Pazart

Chloé Pazart est rédactrice scientifique pour Baleines en direct et naturaliste au GREMM pour la saison estivale 2024. Diplômée en France d'une Maitrise en écotoxicologie, sa curiosité pour le monde marin l'a amenée au Québec pour compléter une nouvelle Maitrise en océanographie, à l'Institut des Sciences de la Mer de Rimouski. Elle est autant passionnée de la plus petite bactérie présente dans les océans qu'au plus grand des rorquals bleus!

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