En revisitant mes photos prises cet été, j’ai réfléchi à des marques particulières vues sur les rorquals bleus.
Le 1er juin 2014, je photographiais au large des falaises de Forillon ce rorqual bleu connu comme B298 dans le catalogue de photo-identification de la Station de recherche des iles Mingan (MICS). Il avait une blessure fraiche assez majeure sur le côté gauche du pédoncule, mais aussi des égratignures sur l’évent et le dos.
Le 26 aout dernier, soit cinq ans plus tard, je le revoyais au large de Sainte-Félicité, près de Matane. La blessure sur le pédoncule semble bien guérie et a laissé des traces de cicatrisation. Cette blessure peut paraitre superficielle et relativement mineure à l’échelle de ce géant, mais, comme me le souligne le biologiste et directeur du MICS, Richard Sears, elle ouvre la porte à une possible infection et à des effets néfastes à long terme sur sa santé.
La blessure aurait-elle été causée par frottement sous le couvert de glace en 2014? Ce serait possible. On sait que des rorquals bleus sont observés durant tout l’hiver dans le golfe du Saint-Laurent. En cette même année 2014, on a retrouvé neuf carcasses de rorquals bleus au large de la côte sud-ouest de Terre-Neuve, coincées dans l’amoncèlement des glaces poussées par les vents.
Durant la saison dernière, j’ai photographié d’autres rorquals bleus avec ce même type de blessure. Des blessures de grandes étendues, assez profondes et qui font presque toute la longueur de l’animal sur sa partie supérieure, qui sont probablement le résultat de sévères frottements.
En début de saison, j’ai observé le mâle B397 appelé aussi Doru dans la baie de Gaspé qui portait des blessures similaires, du rostre jusqu’au milieu du dos, n’épargnant pas l’évent.
Fin aout, au large de Matane, je rencontrais B093, un vieux mâle visitant régulièrement l’estuaire. Lui aussi portait le même genre de blessure sur le milieu du dos.
Un autre individu, B501, observé le 28 aout au large de Matane (photos M. Patrice St-Pierre) portait aussi de grandes égratignures, plus superficielles, sur l’évent et sur le dos. Sont-elles de même cause?
Le chercheur Peter Galbraith de Pêches et Océans Canada a constaté une température de l’eau du golfe exceptionnellement basse à l’hiver 2018-2019. En fait, la plus froide qu’il a mesurée en 24 ans. Il précise que ce refroidissement est une exception à la propension des dernières années, qui tient plutôt vers un réchauffement des eaux. Il explique que les vortex polaires et les vents forts ont contribué à la formation d’une couche de glace plus épaisse.
Ces conditions de glace ont-elles un lien avec ce nombre plus élevé d’observations de blessures dorsales chez les rorquals bleus en 2019? Les rorquals bleus restent-ils plus longtemps et en plus grand nombre dans le golfe en hiver? Y a-t-il un lien avec les conditions océaniques? Quels autres éléments auraient pu causer ces marques particulières? C’est un rappel qu’il en reste beaucoup à apprendre sur les rorquals bleus, et que la nature peut parfois être un habitat bien hostile.
Photos prises sous licence # QUE-LEP-002-2019-MICS pour des fins scientifiques