Les commissaires du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) chargés d’évaluer le projet Énergie Saguenay, promu par GNL Québec, ont rendu public leur rapport le 24 mars. Les 501 pages du document traversent tous les points abordés lors des séances d’information et d’expression, et rassemblent les avis transmis dans les 2580 mémoires déposés par le grand public et des organismes. Le rapport nuancé n’offre pas de recommandation claire quant à donner son aval ou non au projet au ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, qui lui a l’autorité nécessaire pour donner le feu vert ou non au projet. Toutefois, les commissaires mentionnent la forte polarisation qu’entraine le projet au Saguenay et ailleurs, et soulignent que «la commission n’a pas été en mesure de se prononcer sur l’acceptabilité sociale à l’égard du projet, même si globalement, selon l’analyse qu’elle en a faite, la somme des risques afférents au projet dépasse celle de ses avantages». Les auteurs du rapport émettent aussi plusieurs bémols concernant les vertus environnementales que présentait le promoteur. Outre ces considérations majeures, les impacts potentiels du projet sur le béluga du Saint-Laurent, en voie de disparition, inquiètent les commissaires.
Baleines en direct résume ici les avis du rapport concernant les bélugas.
Bélugas partout
Le mot «béluga» revient 213 fois dans le rapport de 501 pages, signe que ce mammifère marin en voie de disparition a su s’insinuer dans les préoccupations des commissaires Denis Bergeron et Laurent Pilotto. Le projet de complexe de liquéfaction de gaz naturel aurait un impact sur les bélugas par le passage annuel de 300 à 400 méthaniers chargés d’exporter le gaz naturel liquéfié (GNL). Les commissaires ont pu constater une inquiétude importante de la part des citoyens et organismes qui ont déposé des mémoires concernant les bélugas. Ils rappellent que le rétablissement du béluga du Saint-Laurent est «un enjeu à la fois écologique, économique et social».
Au moins 12 avis sur 49 portent directement sur les effets que le projet pourrait avoir sur les bélugas du Saint-Laurent. Certains portent sur l’urgence de créer les outils règlementaires nécessaires du côté du Québec pour bien protéger les bélugas et leur habitat. D’autres témoignent des inquiétudes quant aux effets de l’augmentation du trafic maritime, et donc du bruit sous-marin.
«Compte tenu de la situation préoccupante de la population de bélugas du Saint-Laurent et de l’importance de la rivière Saguenay pour ses fonctions vitales telles que l’alimentation, la mise bas et les soins aux jeunes, la commission d’enquête est d’avis que, à l’instar de Pêches et Océans Canada, tout accroissement du trafic maritime projeté dans la rivière Saguenay irait à l’encontre des efforts de rétablissement de cette population.» – Rapport du BAPE
Malgré tous leurs bémols, les commissaires soulignent la bonne volonté de GNL Québec à présenter des mesures d’atténuation et les encouragent à les bonifier et à bien collaborer avec les chercheurs spécialistes du bruit sous-marin et des bélugas, si jamais le projet recevait l’aval des gouvernements provinciaux et fédéraux.
Évaluation globale de tous les projets accroissant la navigation demandée
Dans les faits saillants du rapport, «La commission considère toutefois qu’au-delà de la contribution des 300 à 400 passages annuels de méthaniers attribuables au projet Énergie Saguenay, l’évaluation des impacts du trafic maritime sur la population de béluga de l’estuaire du Saint-Laurent nécessiterait la prise en compte de l’ensemble des activités maritimes dans son habitat essentiel, incluant l’augmentation de trafic que pourraient engendrer d’autres projets de développement portuaires en amont dans le Saint-Laurent».
Ils appellent ainsi à développer «une gestion globale et stratégique visant l’ensemble des activités maritimes afin que tout futur développement se fasse dans le respect du principe respect de la capacité de support des écosystèmes de la Loi sur le développement durable». Cette demande est répétée par de nombreux organismes actifs en protection de l’environnement comme Nature Québec. Ce n’est d’ailleurs pas les premiers commissaires du BAPE qui enjoignent le gouvernement à développer une évaluation globale des projets augmentant le trafic maritime. En effet, ceux de la commission sur le projet de Métaux BlockRock inc. le demandaient aussi. Le simulateur pour prédire l’exposition des bélugas au bruit et à la navigation en cours de développement par l’Université du Québec en Outaouais en collaboration avec le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) devrait permettre de faire de telles évaluations globales dès 2023.