Le gouvernement du Québec souhaite mettre en place d’ici Noël un cadre règlementaire pour l’exploitation des hydrocarbures sur le territoire québécois. Déjà, des projets de règlements de mise en œuvre de la Loi sur les hydrocarbures ont été publiés le 20 septembre dernier et les commentaires des personnes, des groupes et des organisations sont acceptés jusqu’au 9 décembre. De nombreux scientifiques et citoyens s’inquiètent des conséquences potentielles de l’exploitation gazière et pétrolière le long du Saint-Laurent et dans ses affluents. Les lois actuelles et les projets de règlements protègent-ils adéquatement l’écosystème marin du Saint-Laurent des risques liés à cette industrie?

Protection actuelle dans le Saint-Laurent

Dans la partie du Saint-Laurent située en amont de la pointe ouest de l’ile d’Anticosti, les forages sont interdits dans le fleuve et sous le fleuve, en vertu de la Loi limitant les activités pétrolières et gazières de 2011. Quant à la partie québécoise du golfe en aval de l’ile d’Anticosti, elle est actuellement protégée par le moratoire de 1997. Les parties terre-neuvienne et néo-écossaise du golfe sont cependant ouvertes à l’exploration.

Qu’en est-il des rives du Saint-Laurent et de ses affluents? Une grande partie du territoire québécois le long du fleuve est déjà assujettie à des permis d’exploration pétrolière et gazière. En vertu de la récente Loi sur les hydrocarbures, adoptée sous le bâillon en décembre 2016 par le gouvernement du Québec, une bande de terre de 20 mètres de largeur de part et d’autre du fleuve et de ses affluents à débit relativement élevé est exclue du territoire d’une licence. Cependant, les forages sont permis dans et sous les ruisseaux et les portions des rivières à faible débit (puissance naturelle inférieure à 225 kilowatts au débit ordinaire de six mois). Un des projets de règlements publiés le 20 septembre, portant sur les milieux hydriques, spécifie pour sa part que les collets de puits devront être à au moins 40 mètres de la voie navigable du Saint-Laurent.

De la fracturation à 20 mètres du Saint-Laurent et dans certains de ses affluents

La Loi sur les hydrocarbures « donne le feu vert aux forages pétroliers et gaziers et à la fracturation hydraulique sur le territoire québécois », affirme Carole Dupuis, coordonnatrice générale du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ), en entrevue avec Baleines en direct.

La fracturation hydraulique est un procédé controversé d’extraction d’hydrocarbures. L’objectif est de fissurer la roche afin de libérer le gaz ou le pétrole qui y est emprisonné. Pour accomplir ceci, un fluide de fracturation (composé d’eau, de sable et de produits chimiques non divulgués) est injecté à haute pression dans un puits vertical, horizontal ou incliné. Les forages horizontaux souterrains peuvent s’étendre sur un rayon de 2 ou 3 km autour du collet de puits.

De la fracturation hydraulique à 20 mètres du Saint-Laurent, ainsi que dans et sous certains de ses affluents, présente-t-elle des risques pour les mammifères marins du Saint-Laurent? Les hydrocarbures et les produits chimiques utilisés dans le fluide de fracturation pourront-ils migrer jusqu’au Saint-Laurent, par des fissures naturelles par exemple? Les produits chimiques utilisés seront-ils toxiques? Les compagnies pétrolières et gazières seront-elles en mesure de traiter adéquatement leurs eaux usées? De nombreuses questions demeurent sans réponse. Les produits chimiques utilisés dans le fluide de fracturation ne seront divulgués au public que plusieurs années après la fermeture des puits. Les chercheurs, les municipalités et les citoyens n’ont donc pas accès à toutes les informations nécessaires pour évaluer les conséquences potentielles.

L’exemple des voisins

Cependant, des études effectuées dans des régions où la fracturation hydraulique est pratiquée nous informent des effets potentiels sur la biodiversité. Une étude réalisée aux États-Unis, dans le bassin des Appalaches, et publiée en 2013 dans la revue Annals of the New York Academy of Sciences révèle que l’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique peut avoir des effets à long terme sur la biodiversité, sur une étendue géographique inhabituellement grande comparativement aux autres industries. Les principaux effets à long terme, susceptibles de se propager sur une grande étendue, sont la perte et la fragmentation de l’habitat, la pollution chimique, la dégradation de la qualité de l’eau et l’altération du régime hydrologique. D’autres effets, y compris le dérangement par le bruit et la lumière et la dégradation de la qualité de l’air, peuvent être plus locaux et à court terme.

Une évaluation de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), publiée en décembre 2016 et basée sur environ 1200 sources de données et d’information, conclut que la fracturation hydraulique a le potentiel de contaminer les ressources en eau à plusieurs étapes de ce procédé, notamment par le déversement accidentel de fluides de fracturation, l’injection de fluides de fracturation directement dans les ressources souterraines d’eau potable, la migration souterraine de liquides et de gaz, ainsi que le traitement et le rejet inadéquats des eaux usées.

Considérant les risques liés à la fracturation hydraulique, notamment la contamination potentielle des sources d’eau potable, plusieurs provinces, états et pays — dont le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve, le Vermont, l’État de New York, le Maryland, la France, l’Allemagne, l’Irlande et l’Écosse — ont interdit cette pratique ou imposé un moratoire sur son utilisation. L’Île-du-Prince-Édouard a déposé le 23 novembre un projet de loi sur l’eau interdisant la fracturation hydraulique.

Bien qu’il soit difficile, grâce aux informations disponibles, d’évaluer les effets potentiels de cette pratique sur les espèces marines du Saint-Laurent, les groupes environnementaux semblent s’entendre sur le fait que la Loi sur les hydrocarbures et ses projets de règlements ne protègent pas adéquatement la biodiversité du Québec face aux risques liés à l’exploitation des hydrocarbures. « Le gouvernement ouvre les lacs et les rivières du Québec aux projets d’exploration de pétrole et de gaz. On pourra même forer à la limite des aires protégées et des parcs nationaux. Nature Québec s’opposera avec toutes ses énergies et ses ressources à ces mesures qui s’attaquent au cœur de la biodiversité du Québec », déclare le directeur de l’organisme, Christian Simard, dans un communiqué de presse.

De nombreux groupes citoyens, environnementaux et syndicaux — dont la Centrale des syndicats du Québec, l’Union des producteurs agricoles, Nature Québec, Équiterre, la Fondation David Suzuki, Greenpeace, Boréalisation, Eau Secours et le RVHQ — déplorent « les impacts inévitables sur l’environnement, le climat planétaire, la biodiversité et la santé humaine qui découleraient de l’application des projets de règlements ». Ils demandent le retrait intégral de ceux-ci, la suspension de la Loi sur les hydrocarbures et un plan de sortie rapide et complet de la filière pétrolière et gazière au Québec. Entre le 19 octobre et le 4 décembre, plus de 31 000 citoyens ont signé une pétition intitulée Non aux forages! Comme ce fut le cas pour le projet d’oléoduc Énergie Est en 2016, les citoyens et les scientifiques font front commun pour protéger leur eau, leur climat et leur milieu de vie et, du même coup, celui des baleines du Saint-Laurent.

Actualité - 5/12/2017

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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