Une équipe de chercheurs du Manitoba a besoin de vos yeux pour classer plusieurs milliers de photos sous-marines de bélugas. Êtes-vous prêts à découvrir ce qui se cache sous l’eau? Vous verrez comme il est facile de se laisser prendre au jeu !

Pour plusieurs chercheurs de baleines, la saison de travail sur le terrain tire à sa fin, mais le travail de recherche est loin d’être terminé. Toutes les données collectées durant l’été (photographies, vidéos, biopsies, etc.) devront maintenant être classées et analysées. Un travail colossal. Et si le citoyen, même sans formation scientifique, pouvait participer à la tâche tout en s’amusant…

Beluga Bits

Depuis l’été 2016, l’organisme explore.org filme ce qui se passe sous l’eau dans l’estuaire de la rivière Churchill — grâce à une caméra sous-marine attachée à un bateau — et diffuse les images en direct au public. Les spectateurs, à partir de leur ordinateur, peuvent prendre des photos lorsqu’ils aperçoivent des bélugas. Ainsi, plus de 21 000 photos ont été prises au cours des deux derniers étés.

« C’est une mine d’or de données qui attendent d’être analysées, mentionne le chercheur Stephen Petersen, directeur de la conservation et de la recherche du Assiniboine Park Zoo. Nous avons donc eu l’idée de faire participer le public dans la classification de ces photos. »

Les participants au projet Beluga Bits indiquent combien de bélugas sont présents sur les photos, si les bélugas sont des mâles ou des femelles, des jeunes ou des adultes et s’ils portent des marques particulières qui permettraient de les reconnaitre. Les citoyens aident ainsi le chercheur Stephen Petersen et son équipe à déterminer quels bélugas fréquentent l’estuaire de la rivière Churchill, un estuaire qui verse ses eaux dans la baie d’Hudson, au Manitoba.

Les plus grands rassemblements estivaux de bélugas ont lieu dans les estuaires de la baie d’Hudson, mais les chercheurs ne comprennent pas encore exactement ce qui amène les bélugas dans ces estuaires. Sont-ils des lieux propices pour muer, prendre soin des jeunes ou éviter les prédateurs? En comprenant quels bélugas fréquentent l’estuaire de la rivière Churchill, les chercheurs pourront formuler des hypothèses quant à l’utilisation et l’importance de cet habitat. Et si ce projet se poursuit à long terme, ce qu’espèrent les chercheurs, nous pourrons en savoir davantage sur l’état de santé de cette population. Ces informations permettront aux gestionnaires de mieux protéger l’habitat de ces petites baleines blanches.

Pourquoi faire participer le citoyen?

La participation du public dans des activités de recherche scientifique n’est pas un phénomène nouveau. Par exemple, le Recensement des oiseaux de Noël, le comptage annuel d’oiseaux à l’échelle de l’Amérique du Nord, en est à sa 116e année et implique aujourd’hui plus de 75 000 citoyens.

Le terme « science citoyenne » est apparu dans les années 1970. La science citoyenne peut être définie comme « la participation du public aux activités de recherche scientifique lorsque les citoyens contribuent activement à la science grâce à leur effort intellectuel, leurs connaissances, leurs outils ou leurs ressources » (Socientize et la Commission européenne, 2014).

Cette participation peut avoir de multiples bénéfices. Les citoyens peuvent acquérir, tout en s’amusant, de nouvelles connaissances et compétences, ainsi qu’une meilleure compréhension des méthodes et de la démarche scientifique. La science citoyenne peut également permettre aux participants de développer un contact avec la faune ou la flore qui les entoure de près ou de loin — puisqu’il y a de moins en moins de limites de distance grâce aux nouvelles technologies! —, tout en contribuant à sa restauration ou à sa protection.

Les citoyens représentent une force importante de travail et de compétences. « La participation du public a permis, au cours de la dernière année, la classification d’un grand nombre de photos sous-marines en relativement peu de temps », souligne Stephen Petersen.

Sans la participation citoyenne, certains projets de recherche n’auraient pas les ressources humaines et financières nécessaires à leur réalisation. Dans une étude publiée en 2015, des chercheurs ont analysé 388 projets de science citoyenne liés à la biodiversité. Selon leurs estimations, entre 1,3 et 2,3 millions de personnes participent bénévolement à ces projets, passant en moyenne 21 à 24 heures par personne par année à la collecte de données, ce qui correspond à une contribution en nature de 667 millions à 2,5 milliards de dollars états-uniens annuellement.

Les perspectives au Québec

Les progrès de l’informatique et l’usage de plus en plus courant du téléphone intelligent et du GPS facilitent le travail collaboratif, au Québec et ailleurs.

Au Québec, il existe déjà plusieurs programmes de science citoyenne, dont eBird Québec, l’Atlas des oiseaux nicheurs du Québec et l’Atlas des amphibiens et des reptiles du Québec.

Plusieurs observateurs bénévoles, qui scrutent l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent, été comme hiver, communiquent leurs observations de mammifères marins au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM). Ces observations citoyennes sont compilées et partagées chaque semaine sur Baleines en direct.

Cependant, le gros travail de photo-identification et de suivi des bélugas du Saint-Laurent reste la responsabilité des chercheurs du GREMM, qui consacrent actuellement de 600 à 800 heures par année à la collecte de données et de 2000 à 3000 heures par année à leur analyse. Bien qu’intéressé et curieux d’en savoir plus sur l’expérience en cours au Manitoba, Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM, espère plutôt, de son côté, que les développements récents de l’intelligence artificielle et des algorithmes d’apprentissage profond permettront sous peu d’alléger cette tâche colossale.

Actualité - 26/9/2017

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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