Depuis 2013, la population des épaulards résidents du Sud adopte des comportements inhabituels qui inquiètent les scientifiques. Comble du bizarre cette année, le groupe J, l’un des trois groupes familiaux de la population, semble avoir déserté la mer des Salish, au large de la Colombie-Britannique et de l’état de Washington. Généralement observé dans la mer intérieure chaque mois de l’année et toutes les semaines de l’été, le groupe n’a pas été aperçu dans cette zone pendant 108 jours. Que se passe-t-il donc chez ces épaulards en voie de disparition?

Pourquoi le groupe J a-t-il disparu de la mer des Salish?

D’après les scientifiques, le groupe J aurait quitté sa zone habituelle en quête d’eaux plus riches en saumons chinooks. « Le fait qu’ils ne soient pas là nous indique que la nourriture n’est pas là pour eux », témoigne Monika Wieland Shields, directrice du Orca Behavior Institute, à Times Colonist. Autrefois, la mer des Salish constituait l’habitat estival principal du groupe J, qui y était aperçu presque quotidiennement. Depuis 2013, cependant, les absences sporadiques du groupe se rallongent, avec un record de 108 jours cette année. Les épaulards résidents du Sud ont-ils trouvé une nouvelle aire d’alimentation, ailleurs dans le Pacifique?

«Les animaux occupent des habitats où leurs besoins – comme l’alimentation, la sécurité, la socialisation et l’accouplement – sont satisfaits, » explique Lance Barrett-Lennard, directeur du Cetacean Research Program de l’aquarium de Vancouver. «Il se peut que les résidents du Sud passent moins de temps dans la mer des Salish parce que les conditions sont “meilleures” ailleurs, ou que les baleines ont appris, avec le temps, à chasser efficacement dans des zones plus éloignées.» Des animaux intelligents comme les épaulards ont une grande capacité d’adaptation.

D’après d’autres intervenants, il se pourrait également que ce soit le décès de la matriarche du groupe, en 2016, qui ait provoqué des changements dans les trajectoires de sa famille. La matriarche J2, aussi appelée Granny, était âgée d’environ 106 ans lors de sa mort, et avait dont probablement des habitudes bien ancrées.

Le 27 juillet, le groupe J a finalement été revu dans la mer des Salish, du côté ouest des iles San Juan, en compagnie d’autres membres des groupes K et L. C’était la première observation qu’on en faisait dans cette zone depuis le mois d’avril. Heureusement, d’après Rosie Poirier, coordinatrice du programme Straitwatch, les épaulards semblaient en santé, mis à part un membre du groupe K, l’individu K21, qui montrait des signes d’émaciation et serait probablement mort depuis.

Cependant, la visite des épaulards aura été brève, puisqu’ils ont déjà quitté la mer des Salish en direction du large. «Pour déterminer si les épaulards ont été “poussés” ou “attirés” hors de la mer intérieure, il faudra évaluer leur état corporel, leur taux de reproduction et leur taux de mortalité», termine Lance Barrett-Lennard. «Ça prendra peut-être quelques années avant de savoir vraiment ce qu’il advient des résidents du sud, mais étant donné que leur population s’affaiblit depuis plusieurs années, nous ne pouvons qu’espérer que ce changement d’habitat entraine un rétablissement.»

Qui sont les résidents du Sud, et qu’est-ce que le groupe J (J pod)?

Il existe plusieurs écotypes d’épaulards aux habitudes distinctes. Les épaulards résidents se caractérisent par leur organisation sociale complexe et leur présence près des côtes ainsi que dans les étendues d’eau intérieures, comme la mer des Salish. Ils se distinguent également par leur alimentation, se nourrissant exclusivement de saumons. En comparaison, les épaulards «transients» se nourrissent plutôt de mammifères marins, s’engagent plus loin dans l’océan, et ont une structure sociale moins rigide.

La société des résidents du Sud se divise en plusieurs lignées familiales, dont les membres ont en commun un ancêtre maternel récent. Les lignées ayant le plus de liens génétiques entre elles se rassemblent pour former les groupes familiaux matrilinéaires J, K et L. Chaque groupe demeure stable au fil du temps et possède son propre dialecte vocal. Grâce aux recensements annuels effectués sur la population depuis 1976, on sait que le groupe L est le plus grand des trois, rassemblant 33 individus au total. Sa matriarche, L25, aurait plus de 90 ans. Le groupe K est le plus petit groupe, avec seulement 17 membres, et le groupe J, quant à lui, est celui dont les 24 membres apparaissent le plus fréquemment dans la mer des Salish.

Pourquoi les épaulards résidents du Sud sont-ils en danger d’extinction?

Autrefois affaibli par la chasse et la capture, ce clan d’épaulards fait désormais face à de nouveaux défis, le principal étant un manque criant de nourriture. En effet, contrairement à d’autres populations d’épaulards, qui ont une diète variée ou qui peuvent manger des mammifères marins, les résidents du Sud se nourrissent presque exclusivement de saumons. Et beaucoup de saumons! Chaque jour, l’épaulard moyen doit manger entre 18 et 25 saumons pour combler ses besoins énergétiques. Pour l’ensemble de la population, cela représente la consommation de 1400 saumons quotidiennement, et d’un demi-million de saumons par année!

Malheureusement, l’espèce de saumon favorite des épaulards résidents, le saumon chinook, est en péril dans ce coin du Pacifique depuis plus de 20 ans. À cause de la pêche intensive du siècle dernier, de la dégradation de ses habitats et de l’impact des changements climatiques sur son écosystème, la population de poissons a diminué de 90% et peine à se rétablir, malgré la création de réserves gouvernementales et l’imposition de quotas.

Pour les épaulards, qu’est-ce que ça veut dire? Tout simplement qu’il n’y a possiblement plus assez de saumons dans la mer des Salish pour qu’ils puissent s’y alimenter et y vivre convenablement. Les conditions de vie dans cet habitat ne favorisent pas le rétablissement de la population.

Ainsi, afin de protéger à la fois les épaulards, les saumons et la biodiversité, il est important de trouver une façon de remédier à la situation, soutient Rosie Poirier. L’urgence commence à se faire sentir.

Actualité - 16/8/2021

Frédérique Paré-Bastarache

Amoureuse du fleuve et de la nature, Frédérique a rejoint l’équipe de Baleines en direct en tant que stagiaire à l’été 2021. Elle vient tout juste de compléter un certificat en création littéraire et s’engagera à l’automne dans des études en littérature. Calme, elle utilise son sens de l’observation pour s’imprégner de ses différents habitats et pour en apprendre plus sur la faune et la flore du Québec. Elle fréquente les régions de Charlevoix et de la Haute-Côte-Nord depuis longtemps; à son avis, il s’agit du plus beau coin du monde, là où la montagne se déverse dans l’estuaire et où les souffles de baleines donnent les directions vers où aller demain.

Articles recommandés

La vie sexuelle des cétacés, au-delà de la reproduction

Un article paru dans les dernières semaines relate une interaction pour le moins inattendue entre deux rorquals à bosse mâles.…

|Actualité 18/4/2024

Hybridation chez les rorquals bleus : encore des mystères à percer

Chassées, menacées, décimées. Les plus géantes de toutes les baleines ont subi les assauts de l’être humain au cours du…

|Actualité 11/4/2024

Meredith Sherrill : un exemple de ténacité pour travailler avec les baleines!

Pour travailler sur les baleines, son parcours s’est tracé entre la Californie, le Michigan, l'Écosse, pour finalement l'amener au Québec!…

|Actualité 7/3/2024