Les femelles de la petite communauté d’épaulards résidents du Sud s’investiraient durant toute leur vie dans leur relation avec leur descendant mâle, ce qui diminuerait leur succès reproducteur, selon une étude publiée dans Current Biology. Dans cette communauté matriarcale, les mâles et les femelles passent leur vie entière auprès de leur mère, dans le groupe qui les a vus naître. On pourrait croire que la mère ne soutire que des bénéficies de la présence de sa progéniture adulte à ses côtés, mais la réalité est tout autre.
Le privilège mâle
Les épaulards de cette communauté vivent au sein d’une organisation sociale complexe. Celle-ci se distingue par des unités sociales matrilinéaires, lesquelles regroupent tous les descendants d’une même femelle. C’est cette femelle, normalement la plus âgée, qui est à la tête du groupe. Son savoir est d’une valeur inestimable pour sa famille, ses connaissances du territoire et de l’environnement contribuant, par exemple, à en faire une guide chevronnée pour la recherche de nourriture. Cependant, les mâles et les femelles ne bénéficient pas de l’association avec leur mère de la même manière. En effet, le mâle jouit d’un investissement maternel tout au long de sa vie, ce dernier prenant la forme d’un partage de nourriture entre les deux individus. Cet engagement à long terme n’est pas sans conséquence pour la mère qui pourrait voir son succès reproducteur diminuer.
Les mécanismes qui expliquent ces répercussions néfastes sur la reproduction ne sont pas encore connus. Cependant, on sait que l’état nutritionnel des femelles ainsi que la disponibilité des proies influencent grandement le succès reproducteur dans cette communauté. Le partage de proies de la femelle avec son fils pourrait donc réduire son propre apport énergétique en nourriture, diminuant par le fait même l’énergie qu’elle pourrait réinvestir dans sa reproduction.
Une autre définition du succès
Mais quels avantages ce comportement procure-t-il donc? Notre regard doit se diriger du côté des mâles pour trouver une partie de la réponse. Toute cette énergie investie par la mère dans la nutrition de son fils a pour but d’accroître les chances de survie du mâle, et par le fait même son succès reproducteur. La femelle tire profit de cette association par une augmentation indirecte de son propre succès reproducteur, puisque son matériel génétique est transmis à travers son fils et ses descendants.
Cette réponse n’est cependant pas tout à fait satisfaisante, car les jeunes femelles passent également les gènes de leur mère à la prochaine génération.
Afin de mieux comprendre, il est essentiel d’examiner la structure de l’unité familiale et la manière dont les épaulards se reproduisent. Les mâles se reproduisent normalement avec des femelles qui vivent dans d’autres unités matrilinéaires, où grandira leur progéniture. À l’opposé, les femelles plus jeunes élèvent leurs petits dans la même unité que celle de leur mère, ceux-ci pouvant donc faire compétition à la progéniture de la matriarche pour les ressources. Selon les scientifiques, cette compétition au sein d’un même groupe encouragerait les femelles à promouvoir davantage la reproduction de leurs fils, dont la descendance grandira dans un autre groupe.
Les épaulards résidents du Sud
La communauté d’épaulards résidents du Sud fréquente les eaux côtières et la haute mer du Pacifique nord-est, son territoire s’étendant de la côte sud-est de l’Alaska à la Californie. Ses lieux de prédilection sont les eaux de la Colombie-Britannique ainsi que celles des États d’Oregon et de Washington. Cette petite communauté, estimée à 200 individus à l’aube du 20ième siècle, ne compte désormais pas plus de 75 animaux et est classée En voie de disparition au Canada et aux États-Unis. Malgré l’arrêt de la chasse et de la capture pour l’industrie du divertissement, lesquels ont sévi pendant de nombreuses années, la communauté peine à se rétablir.
Le faible nombre de naissances et la hausse de décès ont été associés au piètre état de plusieurs populations de saumon chinook, un saumon sauvage du Pacifique qui constitue la base de l’alimentation de cette population d’épaulards. Cette absence de saumons causerait de la malnutrition chez les épaulards résidents du Sud et affecterait leur succès reproducteur et leur croissance. Qui plus est, les polluants organiques persistants ainsi que les perturbations causées par la présence de bateaux et le bruit qu’ils génèrent sont toutes des menaces suspectées d’entraver le rétablissement de l’espèce. Le très faible taux de naissance inquiète. Seulement 17 naissances ont été répertoriées entre 2012 et 2020, 2015 étant l’année record avec sept naissances. Toutefois, six de ces veaux sont morts ou n’ont jamais été revus. Le succès des grossesses est aussi affecté puisque près de 70% des femelles enceintes repérées entre 2008 et 2014 n’ont pas mené leur grossesse à terme.
Les auteurs et autrices de l’étude suggèrent que le coût reproducteur de l’investissement maternel sur le long terme pourrait s’ajouter aux facteurs qui nuisent au rétablissement de la population en affectant le taux de naissances dans cette communauté. Dans tous les cas, les mesures de protection actuelles semblent insuffisantes pour protéger les épaulards résidents du Sud. Saurons-nous leur offrir une meilleure chance?
Pour en savoir plus
- (2023) Weiss, M. N., Ellis, S., Franks, D. W., Kronborg Nielsen, M. L., Cant, M. A., Johnstone, R. A., Ellifrit, D. K., Balcomb III, K. C., Croft, D. P. Costly lifetime maternal investment in killer whales. Current Biology 33: 744-748