13 juillet 2021. Plusieurs grands souffles s’élèvent au large de Sept-Îles. Un, deux, trois souffles. Puis quatre, sept et dix. Non, plus que dix. D’un synchronisme presque parfait, ce sont 13 rorquals communs qui viennent respirer simultanément à la surface de l’eau! En se déplaçant à une vitesse assez impressionnante, ils continuent leur séquence respiratoire et passent tout près d’un bateau de recherche présent sur l’eau au même moment. Puis, en l’espace de quelques secondes, les 13 individus plongent dans les profondeurs du Saint-Laurent. Surpris, mais surtout fascinés, les scientifiques sur leur bateau réalisent qu’ils viennent d’assister à un comportement de navigation collective, peu documenté chez le rorqual commun.
Tout le monde en même temps!
Composé d’individus adultes et se déplaçant vers l’est de Sept-Îles, le groupe de 13 cétacés a été observé par le Centre d’éducation et de recherche de Sept-Îles (CERSI), qui étudie la santé et le bien-être de ces gros mammifères depuis plusieurs années. Deuxième plus grand mammifère au monde, le rorqual commun est assez imposant lorsqu’il est seul. Un groupe de 13 individus, c’est donc une observation plutôt saisissante!
Anik Boileau, chercheuse et co-fondatrice du CERSI, était sur l’eau lors de l’évènement. Elle raconte que le groupe de rorquals communs lui faisait penser à un train qui passe. « Ils s’en allaient toujours dans la même direction », ajoute-t-elle. Cette observation a été captée par vidéo. On y voit les rorquals communs qui viennent respirer à la surface tout en se déplaçant durant un peu plus d’une minute trente. Les individus plongent ensuite de manière synchrone.
Ce comportement de respiration et de plongée synchronisée a été observé à deux autres reprises par l’équipe de recherche. Le groupe de rorquals communs s’est finalement éloigné et est remonté à la surface pour une autre séquence de respiration. Les individus étant trop loin et les conditions météo étant changeantes, les scientifiques ont choisi de quitter le secteur.
Durant la totalité de l’observation, les rorquals communs étaient synchronisés, autant dans leurs déplacements et leurs plongées que pour leurs respirations. D’après l’analyse de la vidéo et des notes prises durant la séquence, il y aurait eu trois « leaders » dans le groupe de rorquals communs. Ces individus étaient toujours à l’avant du groupe et nageaient parallèlement les uns par rapport aux autres avec une distance d’environ un corps entre chacun d’eux. Les autres individus nageaient derrière ces baleines, toujours en parallèle et en groupe de six au maximum. Aucune autre baleine n’a été recensée dans le secteur durant cet évènement, permettant aux scientifiques de conclure qu’il s’agissait d’un seul et même groupe.
Un comportement étonnant
Le comportement de déplacement synchronisé, aussi appelé navigation collective, est bien connu chez les oiseaux. C’est un phénomène où les individus en déplacement suivent les micros-mouvements de ceux qui se trouvent à leurs côtés. Les groupes d’oiseaux se déplacent donc en suivant la même trajectoire et donnent l’impression d’une seule et même entité.
Avantageuses dans la protection contre les prédateurs et bénéfiques dans la recherche de territoire ou de nourriture, ces nuées d’oiseaux sont plutôt spectaculaires. La navigation collective est aussi couramment observée chez les poissons.
À l’heure actuelle, aucune connaissance concernant la navigation collective ne semble exister pour le rorqual commun dans la littérature scientifique, bien que ce comportement social ait été étudié chez d’autres espèces de mammifères marins comme le grand dauphin et l’épaulard. L’observation du 13 juillet ouvre donc la porte à une meilleure compréhension du comportement du rorqual commun, désigné vulnérable par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Imiter pour mieux s’orienter
Lorsqu’ils ont été aperçus à l’été 2021, les rorquals communs semblaient « passer du point A au point B », explique Anik Boileau. La chercheuse ajoute qu’il est possible que les individus étaient en déplacement afin d’aller dans un secteur où il y avait une grande densité de proies. Effectivement, puisque les baleines viennent dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent durant la saison estivale pour s’alimenter, il est envisageable que le groupe se déplaçait vers une zone d’alimentation où il y avait une certaine abondance de nourriture.
En outre, ce synchronisme pourrait aussi être un moyen qu’ont les baleines pour mieux s’orienter dans leur environnement. Évaluer les distances et les directions, malgré une ouïe et une vision adaptée aux fonds marins, ce n’est pas toujours évident. En se déplaçant en groupe, les individus pourraient donc se fier aux indices captés et fournis par les autres baleines à proximité.
Il a aussi été avancé que la mâchoire bicolore des rorquals communs pourrait potentiellement les aider à se déplacer en synchronisme. Effectivement, comme la moitié de leur mâchoire est blanche, cet indice visuel les aiderait à se localiser dans l’espace et les uns par rapport aux autres.
D’un autre côté, certaines études tendant à montrer que de grands groupes de cétacés en déplacement sont moins vigilants que des groupes de deux ou trois individus face aux navires présents dans le secteur. D’autres observations comme celle faite par le CERSI seront donc nécessaires afin de bien comprendre quels sont les impacts de ce comportement de groupe sur le bien-être des cétacés.