La dernière fois que des épaulards ont été vus à Tadoussac remonte à 2003, mais d’autres observations sont occasionnellement rapportées dans le golfe du Saint-Laurent. Pourtant, les eaux du Saint-Laurent étaient autrefois fréquemment visitées par cette espèce.
Les épaulards de l’Atlantique Nord et de l’est de l’Arctique
Dans l’est du Canada, les épaulards ont longtemps été considérés comme des compétiteurs directs des baleiniers, se nourrissant parfois de leurs prises, et ce jusqu’à l’arrêt de la chasse en 1972. Dans les eaux de l’est de Terre-Neuve et de Nouvelle-Écosse, de nombreux témoignages affluent, décrivant des rorquals avec les nageoires croquées par ces cétacés dans les années 1960. En conséquence, les épaulards de l’Atlantique furent parfois pris pour cibles par les baleiniers, mais aussi par les militaires, en Atlantique comme dans le Pacifique.
Des épaulards dans le Golfe
Cette population d’épaulards est peu étudiée dans cette région et donc peu connue. La Station de recherche des Îles Mingan (MICS) a recensé sa première observation de l’espèce en 1983 dans le golfe du Saint-Laurent, et sa dernière en 2007! « Le groupe de 1983 était composé de 4 femelles, un mâle et 2 immatures, » rapporte un assistant de recherche. Entre 1983 et 2007 l’équipe du MICS a pu identifier seulement six individus, dont Jack Knife.
Avec le temps, il semble que ces observations se soient faites de plus en plus rares. En 1995, deux grands groupes d’épaulards nageaient dans les eaux du Saint-Laurent : « Une dizaine de spécimens sont au large de Mingan; une cinquantaine, à Blanc-Sablon » rapportait Le Soleil. De nos jours, les groupes observés se rapprochent plutôt de 3 à 7 individus. Toutefois, de telles rencontres arrivent parfois dans l’Atlantique.
Tayaut tayaut!
Dans le golfe du Saint-Laurent et le détroit de Belle Isle, des épaulards ont été vus en train de chasser des petits rorquals, des phoques, et des baleines à dents, partage le Dr. Jack Lawson, chercheur pour Pêches et Océans Canada. L’équipe du MICS a déjà observé des épaulards attaquer des marsouins et des petits rorquals dans le golfe du Saint-Laurent dans les années 90. La station de recherche a par ailleurs été témoin du célèbre groupe de Jack Knife (observé de 1988 à 1999) chassant un petit rorqual! Revivez ce moment en lisant un extrait de leur données prises sur le terrain :
Des « espadons » dans l’estuaire
Plusieurs mentions historiques du 17e siècle rappellent leur présence dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent. On les considérait communs à la région jusqu’au milieu du 20e siècle et le guide pour l’identification des cétacés de la côte est du Canada estime que l’on observait cette espèce « assez fréquemment dans le Saint-Laurent ». Dr. Vadim D. Vladykov mentionne d’ailleurs qu’un groupe de 40 épaulards, ou « espadons » selon certains locaux, « infestaient le Saint-Laurent ». Il témoigne notamment d’épaulards chassant le béluga jusqu’à l’ile aux Coudres, un phénomène probablement exceptionnel pour l’époque!
« Les Espadons, au nombre de cinq à six, poursuivent une mouvée de Bélugas. Ils choisissent de préférence les gros mâles. Ils les tuent avec leur tête, en les frappant le plus souvent au-dessous de l’aileron. Le coup est tellement fort que le Béluga, même le vieil individu pesant plus de 3 000 livres, est projeté en l’air, à trois ou quatre pieds hors de l’eau. […] Aussitôt que le Marsouin est tué, plusieurs autres Espadons s’approchent. » Cette description rappelle le comportement parfois observé chez des épaulards chassant les phoques.
Le témoignage de R. Lagueux, alors directeur de la Tadoussac Salmon Hatchery, raconte que ces redoutables prédateurs venaient attaquer les bélugas à l’embouchure du fjord du Saguenay et qu’à l’été 1961, un petit groupe se déplaçait entre Rivière-du-Loup et Tadoussac. Néanmoins, aucune attaque sur les bélugas dans la région n’a été rapportée depuis les années 1970.
Espoir d’un retour futur?
Pourquoi les épaulards ont-ils déserté la région du Saint-Laurent? Il y aurait-il un lien avec la diminution de leurs proies, soit la population des bélugas, depuis les années 1920, ou encore du début de l’observation aux baleines dans les années 1980? Certains scientifiques avancent que le déclin de la population des bélugas du Saint-Laurent aurait pu mener en partie à la baisse de fréquentation des épaulards dans cette région.
Le départ des épaulards du Saint-Laurent pourrait aussi être dû à une baisse de leur population. En effet, cette espèce est classée comme préoccupante selon la COSEPAC. D’autres explications impliquent les changements climatiques, caractérisés par des épaulards qui semblent de plus en plus présents en Arctique, à la pollution des eaux ou encore à la pollution sonore, liées à l’augmentation du trafic maritime.
En 2007, le MICS notait : « Nous ne savons toujours pas ce qui pourrait avoir causé la disparition des orques de l’ouest du golfe. Une des causes possibles serait l’accumulation probable de produits toxiques dans le gras de cette espèce qui se trouve au sommet de la chaîne alimentaire. » Cette accumulation de contaminants menace la santé générale de ses animaux ainsi que leur capacité à se reproduire.
Lyne Morissette effectue un projet de recherche depuis quelques années pour mieux connaître la répartition des groupes qui fréquentent nos eaux et leur régime alimentaire. Elle constate que certaines populations d’épaulards chassent les requins blancs, un prédateur qui est de plus en plus commun dans le golfe! En 2015, ainsi qu’à la fin octobre 2023, des groupes d’épaulards ont été vus dans le Golfe au large de la Tabatière. Qui sait, les épaulards reviendraient peut-être dans un Saint-Laurent aux eaux limpides!