Au centre d’appels du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins, 80% des cas signalés concernent des phoques, qu’il s’agisse d’individus vivants en repos, harcelés ou blessés ou de carcasses. De quels maux sont-ils donc victimes? Prédateurs, collisions ou maladies? En fait, les causes de décès sont multiples et souvent, s’accumulent, de sorte qu’on ne puisse plus vraiment déterminer lesquelles ont eu raison de l’animal.
Des vers dans les poumons
Comme tous les animaux, les phoques sont hôtes de plusieurs parasites. Parmi eux, on compte des vers pulmonaires, des vers du cœur et des vers du système digestif. Les larves de ces vers, ingérées par les poissons que mangent les phoques, se logent dans leur système digestif, se métamorphosent en vers et se déplacent éventuellement vers les différentes parties du corps. Les phoques rejettent par leurs excréments et leur toux de nouvelles larves, qui se déposent au fond de l’eau, se font dévorer par des poissons, et contaminent d’autres individus.
Cette infestation par les vers fait partie du cycle de vie des phoques, et n’affecte normalement pas leur santé. Les parasites s’installent dans l’organisme des jeunes phoques lorsque ceux-ci commencent à manger du poisson, après leur sevrage. Dès lors, les jeunes doivent développer leur immunité aux parasites afin de poursuivre leur croissance. La majorité des chiots survivent à l’infestation et s’y habituent. Pour d’autres, au contraire, la présence de vers, surtout pulmonaires, favorise l’apparition d’autres maladies, comme la pneumonie. Ces jeunes phoques, affaiblis, peinent à respirer, ce qui diminue leur capacité à plonger pour se nourrir. Ils finissent par s’échouer sur la plage, maigres et affamés.
D’après une étude menée sur la population d’otaries à fourrure de la Guadeloupe, 50% des décès des chiots de cette espèce seraient liés au parasitage et à l’émaciation (la trop grande maigreur). Ces deux fléaux sont interreliés dans un cercle vicieux : un animal infecté n’arrive pas à s’alimenter, et une mauvaise alimentation peut favoriser l’infestation d’un individu.
Aider les phoques... à distance!
Pour que les chiots surmontent l’épreuve des parasites, ils doivent accumuler de l’énergie et de la graisse pendant la période d’allaitement. Voilà pourquoi il est primordial de rester loin des nouveau-nés phoques lorsqu’on en rencontre sur la plage, même s’ils sont très mignons et qu’ils poussent parfois de petits cris ressemblant à des sanglots. En effet, si la mère remarque la présence d’humains autour de son jeune, elle risque de venir le nourrir moins fréquemment, ou pire, de ne pas revenir. Le chiot peut mourir de faim, ou encore commencer sa diète de poisson prématurément, alors que son système immunitaire n’est pas assez solide.
L'impact humain, plus grand qu'on l'imagine
D’ailleurs, une autre étude, menée sur la population d’otaries à fourrure de l’ile Guafo, au Chili, a démontré que les changements climatiques auraient un impact sur le taux de survie des chiots de cette région face à l’infestation de parasites. Le nombre de décès augmenterait à mesure que la température de l’eau monterait. Pour une augmentation d’un degré Celsius, le taux de mortalité des chiots augmenterait de 10%!
Comment expliquer cette découverte? Il faut remonter une longue chaine de causes à effets : le réchauffement des eaux a un impact sur la répartition du phytoplancton dans l’océan, de sorte que les populations de micro-organismes ont tendance à prospérer davantage dans les eaux près des pôles, et à dépérir dans les eaux des tropiques. On retrouve ainsi moins de phytoplancton autour de l’ile Guafo, donc moins des poissons qui s’en nourrissent. Puisque la quantité de proies diminue, les mères otaries doivent chasser plus longtemps et s’éloigner davantage de la côte, ce qui réduit le temps qu’elles peuvent passer à s’occuper de leur chiot. Ceux-ci, sous-alimentés, deviennent moins résistants aux parasites et plus vulnérables aux infections.
Voilà une autre bonne raison de travailler à freiner les changements climatiques.
Une ribambelle de causes
Chez les phoques adultes présents dans le Saint-Laurent, les causes de décès varient beaucoup, et aucune ne prédomine. Certains individus plus aventuriers se retrouvent dans des zones inhabituelles où la nourriture se fait plus rare et meurent ainsi de faiblesse et de faim, tandis que d’autres attrapent des virus et bactéries diverses par des plaies ou via l’alimentation. Les cas de collisions avec les bateaux et les empêtrements dans les engins de pêche sont encore peu documentés, mais il est plausible que certains phoques en soient victimes. Du reste, leur principal prédateur, l’épaulard, est très rarement observé dans l’estuaire, mais sept espèces de requins nagent dans le fleuve et mangent parfois des pinnipèdes. Le Réseau a souvent reçu des signalements de phoques échoués portant des marques de dents témoignant d’une attaque de gros requin.
Somme toute, l’absence de menace prédominante pour les phoques de l’estuaire est une bonne nouvelle : cela signifie que les populations restent stables et se régulent d’elles-mêmes en misant sur la survie des individus les plus forts.