Parce qu’ils vivent dans l’eau et doivent en permanence plonger pour se nourrir ou se déplacer, les cétacés ont développé de nombreuses adaptations physiologiques au milieu marin. Par exemple, pour économiser l’oxygène en plongée, les cétacés sont capables d’avoir un rythme cardiaque très lent – jusqu’à 2 battements par minute (bpm) pour certains rorquals bleus!

Les dauphins – et peut-être d’autres cétacés – seraient même capables de diminuer leur rythme cardiaque de manière volontaire, en anticipant le temps de plongée prévu. Cette découverte étonnante permet de mieux comprendre les mécanismes physiologiques autorisant les cétacés à plonger longtemps et profondément sans accident. On vous explique pourquoi.

Plongée courte, plongée longue

Pour arriver à leurs conclusions, les chercheurs ont pu bénéficier de la coopération de trois grands dauphins (Tursiops truncatus) vivant en captivité. Ceux-ci ont été entrainés pendant plusieurs mois à adapter la durée de leur plongée en fonction d’un signal visuel montré 5 à 10 secondes avant de mettre l‘event sous l’eau. Selon le signal, le dauphin devait retenir sa respiration pour une courte durée, une longue durée, ou aussi longtemps que le dauphin le décidait.

Grâce à un jeu d’électrodes, les chercheurs ont pu suivre le rythme cardiaque des dauphins dans leurs différents types de plongée, et le résultat est sans appel: lorsque le dauphin sait qu’il part pour une plongée plus longue, son rythme cardiaque baisse rapidement et à des niveaux très bas. Il peut ainsi passer de 100 à 20 bpm en quelques secondes. Le rythme cardiaque ne baisse pas aussi vite et aussi bas lorsque le dauphin sait que sa plongée sera de courte durée ou que la durée est indéterminée.

«Dans cette étude, nous montrons que le changement du rythme cardiaque pendant la plongée varie en fonction de l’anticipation. Cela suggère que les dauphins réduisent de manière conditionnée leur rythme cardiaque», détaille Andreas Fahlman, auteur principal de l’étude et directeur de la Fondation Oceanogràfic basée à Valence.

Celui-ci nuance toutefois : «Il n’y a pas de preuve anatomique de contrôle « somatique » (volontaire) […] Cependant, nous constatons que les dauphins prennent des décisions sur la manière de modifier leur rythme cardiaque si on leur dit ce que nous attendons immédiatement avant l’apnée et que, par conséquent, la réaction de plongée n’est pas un réflexe (elle ne se produit pas toujours dans la même mesure) ni sous un contrôle entièrement autonome.»

De l'utilité de diminuer son rythme cardiaque

Certes, c’est impressionnant. Chez l’humain, certains yogis sont capables de réguler volontairement leur rythme cardiaque, mais la méditation requise pour y arriver prend généralement plus d’une demi-heure. Les dauphins, eux, s’ajustent en quelques secondes. Quelle est l’utilité de cette adaptation?

Pour l’équipe de chercheur, cette trouvaille vient étayer une théorie développée depuis quelques années: l’hypothèse de l’échange sélectif des gaz (Selective Gas Exchange hypothesis). «Cette théorie explique comment les mammifères marins peuvent échanger sélectivement de l’oxygène et du dioxyde de carbone sans échange d’azote et ainsi maximiser la durée de la plongée aérobie et aussi minimiser les risques d’accident de décompression», explique Andreas Fahlman.

En effet, en utilisant les échanges gazeux qui ont normalement lieu dans leurs poumons, mammifères marins et tortues de mer risqueraient de stocker trop d’azote dans leur sang et leur tissu, s’exposant ainsi aux accidents de décompression bien connus des plongeurs (qui sont dus aux variations de solubilité de l’azote selon la profondeur). Pour éviter cette problématique, les dauphins seraient capables d’effondrer partiellement une partie de leurs poumons et de réguler le passage du sang dans les différentes zones de leurs poumons. Ce faisant, ils seraient capables de conserver les échanges de C02 et d’oxygène, tout en limitant le passage de l’azote dans le sang. Pratique!

Pour mieux comprendre l’hypothèse de l’échange sélectif des gaz (en anglais) :

Des accidents de décompression

Or, pour les auteurs de cette théorie, «cette hypothèse requiert de valider plusieurs postulats et, chez les dauphins, cela inclut [entre autres] le contrôle conditionné de la fréquence et du débit cardiaque ». On sait désormais que ce postulat est validé.

Mais ce contrôle volontaire du corps sur les échanges gazeux possède ses contreparties. En cas de stress, par exemple, l’équilibre peut soudain être rompu, le rythme cardiaque augmente de manière autonome, le sang est envoyé dans les mauvaises régions des poumons, et l’azote absorbé peut créer un accident à la remontée. Un phénomène qui peut expliquer qu’une explosion sous-marine soit liée à des décès ou des échouages de cétacés.

Heureusement, «en comprenant l’effet du stress sur la régulation du rythme cardiaque des dauphins, nous pouvons modifier nos actions en conséquence afin de minimiser les dommages, explique Andreas Fahlman au magazine Inverse. Par exemple, au lieu de provoquer des explosions soudaines, nous pourrions produire des bruits de plus en plus forts lors des explorations sous-marines.»

Vous voulez un petit résumé vidéo en 1 minute de cette étude? C’est possible grâce au projet 1-minute-Ocean (en anglais):

Actualité - 3/12/2020

Laure Marandet

Laure Marandet est rédactrice pour le GREMM depuis l'hiver 2020. Persuadée que la conservation des espèces passe par une meilleure connaissance du grand public, elle pratique avec passion la vulgarisation scientifique depuis plus de 15 ans. Ses armes: une double formation de biologiste et de journaliste, une insatiable curiosité, un amour d'enfant pour le monde animal, et la patience nécessaire pour ciseler des textes à la fois clairs et précis.

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