Fait rare dans la recherche sur les cétacés, une équipe a réussi à placer sur le dos d’un rorqual bleu une balise avec des électrodes permettant de calculer sa fréquence cardiaque. Les résultats sont stupéfiants: ce rorqual mâle d’une taille moyenne dont la fréquence cardiaque au repos s’élève à environ 15 battements par minute, peut la faire chuter à seulement deux! Deux battements par minute! C’est une baisse de plus de 85 pour cent. En comparaison, l’humain au repos a entre 50 et 80 battements par minute et peut faire chuter inconsciemment sa fréquence jusqu’à 25 pour cent en apnée. Mais comment le rorqual bleu est-il capable de survivre à une aussi faible fréquence cardiaque et surtout à quoi cela peut-il lui servir?

La circulation sanguine et le cœur, cette pompe extraordinaire

Une des fonctions de la circulation sanguine, c’est d’apporter de l’oxygène à tous les organes du corps. Cet oxygène permet aux organes (dont les muscles) de subvenir à leurs besoins énergétiques. Mais pour que ce sang circule, il faut bien une pompe: le cœur!

La fréquence cardiaque, c’est le nombre de pulsations du cœur par minute. Et c’est un des facteurs de la circulation sanguine qui est notamment déterminée par les besoins en énergie (et donc notamment en oxygène) des organes. Par exemple, si vous faites du sport, vos muscles ont besoin de plus d’énergie, donc de plus d’oxygène. La fréquence cardiaque et la fréquence respiratoire (nombre d’inspirations et d’expirations par minute) vont augmenter. Conséquence: le sang va être plus rapidement oxygéné et distribué à tous les organes du corps (dont le cœur lui-même qui, lui aussi, a besoin d’énergie pour battre!).

Retenir son souffle… et son cœur!

Lors de plongées, il n’y a plus d’arrivée d’oxygène dans les poumons. Dans cette situation, beaucoup de mammifères ont un réflexe inconscient de baisse de la fréquence cardiaque par rapport à celle qu’ils ont au repos. Cela permet de limiter la consommation des réserves d’oxygène sanguin par les organes (dont le cœur).

Pendant leur plongée d’alimentation, les rorquals bleus vont à plusieurs reprises engouffrer leurs proies. Ces manœuvres d’engouffrement sont très couteuses en énergie et donc en oxygène. Normalement, ces besoins énergétiques amèneraient le cœur à augmenter fortement sa fréquence. Cependant, pour le rorqual bleu, ces augmentations de la fréquence cardiaque sont très faibles par rapport à la fréquence cardiaque au repos (voir figure 2). Comment est-ce possible? Une des hypothèses serait que les propriétés physiques de l’aorte permettraient une sorte de prolongation de la pulsation sanguine entre les battements du cœur. Cela compenserait d’une certaine façon cette faible fréquence cardiaque même pendant les manœuvres d’engouffrement couteuses en énergie pour le rorqual. Et en restant faibles, ces augmentations de fréquence cardiaque contribueraient à une économie des réserves d’oxygène du sang. Le rorqual bleu serait ainsi capable de rester plus longtemps sous l’eau sans respirer, tout en effectuant des manœuvres couteuses en énergie. À la surface, sa fréquence cardiaque augmente, optimisant les échanges gazeux avec l’extérieur et l’oxygénation du sang.

En noir, la fréquence cardiaque en battement par minute (le trait continu d’une valeur de 15 battements par minute représente la fréquence cardiaque au repos d’un rorqual bleu). En bleu, la profondeur.

Plusieurs autres particularités des rorquals bleus expliqueraient leur capacité à réduire si faiblement leur fréquence cardiaque et à optimiser l’utilisation des réserves d’oxygène sanguin par leurs organes. Les rorquals bleus peuvent faire d’assez bonnes réserves d’oxygène à l’intérieur de leurs muscles et de plusieurs de leurs organes vitaux comme le cerveau. Ils n’auraient donc pas trop à puiser dans leurs réserves d’oxygène sanguin durant leur plongée. De plus, ils auraient la capacité de réduire fortement la circulation sanguine dans les organes périphériques, ce qui concentrerait le sang pour l’alimentation des organes vitaux principalement.

Les adaptations morphologiques et physiologiques des cétacés à la plongée n’ont pas fini de nous impressionner!

Actualité - 6/1/2020

Camille Proust

Camille Proust a rejoint l’équipe du GREMM en 2019 en tant que responsable des projets éducatifs. Après plusieurs années d’études et d’expériences professionnelles dans le domaine de l’éducation en biologie, elle participe maintenant à une mission qui la touche particulièrement : faire découvrir l’univers passionnant mais fragile des baleines du Saint-Laurent.

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