Qu’elles se déroulent sur l’eau ou sur la terre, les activités de recherche du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) constituent une source inépuisable «d’histoires de baleines», souvent racontées dans des carnets de terrain.

Or, le volet «éducation» du GREMM comporte aussi son lot de récits! Alors que l’été passé notre équipe de naturalistes vous avait amené au Centre d’interprétation des mammifères marins (CIMM), je vous propose cette année de m’accompagner au Centre d’interprétation et d’observation de Pointe-Noire, où nous collaborons avec Parcs Canada.

Promesses du matin

9h20. À bord du traversier, je quitte Tadoussac pour rejoindre Baie-Sainte-Catherine. Une nappe de brouillard jette un voile sur l’embouchure du Saguenay, je distingue à peine l’autre rive. Nous ne sommes pas nombreux sur le bateau, mais je constate bientôt que j’ai un autre type de compagnie: trois petits dos blancs surgissent devant moi, comme une promesse des observations à venir. Arrivée à Baie-Sainte-Catherine, je longe à pied la route 138 et je peux encore suivre des yeux les bélugas, qui semblent se diriger vers l’estuaire du Saint-Laurent. Quelques rayons de soleil percent la brume; la journée s’annonce belle.

10h. À Pointe-Noire, le site est officiellement ouvert, mais les visiteurs se font attendre. J’ai déjà déposé mes affaires à l’intérieur, débarré les toilettes et sorti mon matériel d’interprétation: jumelles, encyclopédie ainsi que divers panneaux sur les baleines, les oiseaux, la topographie et l’histoire du site. Je patiente en haut, près de la maison où ont habité jusqu’en 1981 le gardien Louis-Joseph Therrien et sa famille. Plus qu’un lieu de repos et d’observation, Pointe-Noire guide les marins depuis le 19e siècle, d’abord grâce au cap de la Boule, une rive rocheuse facilement repérable, puis grâce aux feux d’alignement et au criard de brume. Si le site conserve toujours sa fonction d’aide à la navigation, il est maintenant fréquenté chaque année par des milliers de visiteurs venus apprécier ses points de vue et ses opportunités d’observation.

La vie hors de l’eau

10h30. Des pas retentissent sur la galerie en bois et annoncent l’arrivée des premiers visiteurs. «Bonjour-Hello! Bienvenue au Centre d’interprétation et d’observation de Pointe-Noire!». Déjà, ils s’exclament devant la beauté du paysage. On distingue en un seul coup d’œil le petit village de Tadoussac, le va-et-vient des traversiers, l’embouchure du Saguenay et, à notre droite, l’immensité du Saint-Laurent. On me questionne d’emblée sur les mammifères marins: «Est-ce que t’as vu des baleines aujourd’hui?». Je leur raconte mes observations du matin et en profite pour leur parler des bélugas, seul cétacé qui vit à l’année dans le Saint-Laurent, dont la population est estimée à environ 900 individus et qu’on voit fréquemment ici. On m’interroge entre autres sur son poids, sa taille, sa durée de plongée ou son statut «en voie de disparition» . En répondant à leurs questions, je les entraine vers les autres points de vue du site, en bas des escaliers, et reste à l’affut des potentiels dos ou souffles.

13h. Mais les baleines aussi savent se faire attendre. Au fil des heures, des dizaines de visiteurs arrivent et repartent sans qu’elles donnent signe de vie. C’est l’occasion de diriger leur attention vers d’autres types d’observations, dont celles des nombreux oiseaux qui fréquentent Pointe-Noire et ses environs, qu’il s’agisse des cormorans qui volent à ras de l’eau, des bruants à gorge blanche au chant distinctif ou des eiders à duvet près de la rive. Dans les arbres, on repère parfois un gros porc-épic qui s’accroche aux branches et les fait dangereusement plier. Pointe-Noire regorge de vie si on sait où regarder; mon travail consiste entre autres à pointer dans la bonne direction et à diriger les regards curieux.

Le clou du spectacle

15h. Malgré l’absence des cétacés, les visiteurs ont tendance à s’attarder sur le site. Le brouillard s’est maintenant complètement dissipé; aucun nuage à l’horizon. Une famille en profite pour pique-niquer sur l’une des tables en bois. Un couple paresse au soleil dans les chaises rouges de l’héliport. Je scanne l’horizon avec mes jumelles, les baleines pourraient surgir autant du Saguenay que de l’estuaire.

«Bélugas à 13h!» Ce n’est pas moi qui les ai repérés, mais ma collègue Florence venue me donner un coup de main en après-midi. Devant la Pointe-Rouge de Tadoussac, deux points blancs éclatants apparaissent et disparaissent. Les regards se plissent, les parents tentent de montrer – sans succès – les animaux à leurs plus jeunes enfants. Pour plusieurs d’entre eux, il s’agit d’une première rencontre avec les bélugas.

Alors que presque tous nos regards suivent les dos au loin, le bruit d’une expiration nous fait tourner la tête. À 20 mètres à peine de la rive, deux mères, leurs veaux et des juvéniles arrivent du Saguenay. On distingue en transparence les corps blancs et gris des plus vieux et les petites têtes grises et plissées des veaux de l’année. Pas besoin d’aller sur l’eau pour voir les bélugas: à Pointe-Noire, ils viennent à nous. Nous cessons de discuter pour laisser toute la place à cette expérience qui émeut autant les visiteurs que les guides-interprètes. Après quelques minutes de silence entrecoupé de souffles, je profite de ces observations pour leur expliquer les changements de coloration des bélugas, associés à leurs différents stades de développement .

La finale

17h. Déjà, c’est la fin d’une journée qui s’est finalement révélée riche en observations et en émotions. Je m’assure que les portes de la maison du gardien et des toilettes sont bien barrées, puis je reprends la route 138 en direction de Tadoussac. Je ne suis pas pressée d’arriver: le fjord est baigné de lumière dorée et une brise venue du fleuve me rafraichit. Et comme pour justifier ma lenteur, un petit rorqual en alimentation surgit alors que j’arrive au traversier. Cette fois-ci, je profite seule de ce spectacle dont on ne se lasse jamais.

Merci à mes précieuses collègues Aurélie, Diane, Florence, Jennifer et Sarah pour leurs récits et leur compagnie.

Carnet de terrain - 19/8/2021

Gabrielle Morin

Gabrielle Morin s’est jointe à l’équipe de Baleines en direct à l’hiver 2020 en tant que stagiaire. Étudiante en littérature, elle s’implique dans le milieu littéraire de la ville de Québec et écrit à temps perdu. Son amour des baleines est né sur les berges de l’estuaire du Saint-Laurent et l’a poursuivie jusqu’à Lévis. Depuis, elle le nourrit grâce à la lecture d’ouvrages scientifiques et à des expéditions estivales. Elle croit que sa passion de la littérature et des mammifères marins naissent d’une même volonté: capturer, et surtout partager son émerveillement.

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