7 juillet 2025, aux petites heures du matin, j’attends des nouvelles de l’équipe de recherche. Les conditions météorologiques seront-elles favorables pour aller sur l’eau? Le vent, la brume, la pluie sont toutes des raisons qui peuvent rendre la recherche sur l’eau compliquée, voire impossible. 8h45, je reçois un texto de Michel Moisan, le technicien en chef du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM). Le vent a tourné, nous pouvons sortir sur le Saint-Laurent!

Je dois les rejoindre au quai pour monter à bord d’Antarès, le bateau du GREMM dédié à la recherche sur le béluga du Saint-Laurent. J’enfile mon manteau et mes bottes, empoigne mes jumelles et mon carnet de notes et m’élance d’un pas décidé vers la marina. Je vous invite à m’accompagner à bord d’Antarès et à plonger avec nous au cœur de la recherche de ces baleines blanches, en cette période chargée de questions et d’incertitudes…

La recherche sur les bélugas en constante évolution

Fondé en 1985, le GREMM porte fièrement sa mission depuis maintenant 40 ans. L’organisme est voué à la recherche scientifique sur les baleines du Saint-Laurent et à l’éducation pour la conservation du milieu marin. Dès le commencement, les bélugas ont piqué la curiosité de l’organisme, fasciné par leurs comportements et leur structure sociale. Ils sont devenus l’une des espèces phares des recherches du GREMM.

Michel Moisan, le capitaine du bateau de cette sortie, a vu le GREMM grandir et les techniques de recherche évoluer. À son arrivée en 1995, l’équipe utilisait encore les caméras argentiques et devait développer les photos dans des chambres noires improvisées. Afin de faciliter l’identification, il fallait par la suite cataloguer les images à la main, sans aucune plateforme électronique. L’année suivante, l’équipe commença les biopsies ー un prélèvement de peau et de gras de la baleine ー  qui offrent une mine d’or d’informations sur le sexe, les conditions hormonales, l’alimentation ou encore la présence de contaminant. Ce n’est seulement qu’en 2001 que les caméras numériques ont fait leur arrivée pour la photo-identification. Des années plus tard, en 2017, les drones ont été intégrés aux protocoles, amenant avec eux une nouvelle dimension à la recherche.

Les habitudes des bélugas changent aussi!

L’équipage est constitué de Jade-Audrey, chargée de la description des groupes et de la photo-identification, d’Estelle, responsable du décollage du drone et des annotations liées aux approches, de Mathieu, derrière les commandes pour manœuvrer le drone, de Michel, au gouvernail et finalement de moi, à mon crayon. 9h30, leur regard est aiguisé, l’équipe repère de loin des dos blancs bien avant moi. L’équipe s’active. Estelle et Mathieu sortent de la cabine pour rejoindre la plateforme, Estelle avec le drone au bout de ses bras et Mathieu avec la manette de contrôle : le décollage est imminent. Jade-Audrey décrit le troupeau et enchaine les photos.

Il s’agit d’un troupeau d’une cinquantaine d’individus. Autrefois, apercevoir des groupes de cette taille était coutume. Cet été, ces observations sont plutôt rares. Il s’agit probablement du plus grand troupeau observé par l’équipe de recherche depuis le début de la saison. Depuis quelques années, « c’est plus difficile que ça l’était. On va patrouiller plus longtemps avant de les trouver », me raconte Michel.

Une réalité bien différente de celle qu’il a connue au cours de sa carrière. Pendant plusieurs années, les lieux fréquentés et les groupes étaient stables : « Ce qu’il y avait quand je suis arrivé, c’était des groupes de gros messieurs, des mâles adultes assez imposants », me raconte Michel. Grâce à la photo-identification, l’équipe de recherche a pu distinguer trois grands réseaux de mâles de 40 à 60 individus, chacun avec des liens assez solides entre eux. Autrement dit, les mâles avaient leurs préférences relationnelles et l’équipe observait systématiquement les mêmes individus ensemble, certains en aval, d’autres en amont ou dans le Saguenay. Avec la disparition ou la mort de plusieurs de ces mâles connus depuis le tout début du projet de recherche, il semble que ces réseaux se soient dissous.

Cet été, des groupes de bélugas ont été aperçus en Gaspésie ou sur la Côte-Nord, plus régulièrement et en plus grand nombre qu’auparavant. « Qu’est qui ce passe? Sont-ils en train de bouger ?» se questionne Michel.

La composition et la répartition des troupeaux ne sont plus les mêmes; Michel se demande si la taille des bélugas aussi a changé. « Ils semblent plus minces, moins gras, moins grands », s’inquiète-t-il. Avec les données de photogrammétrie en cours d’analyse, la recherche pourra affirmer ou infirmer l’impression des équipes de recherche dans les années à venir.

Les bélugas suivant le courant du Saint-Laurent

Ces observations soulèvent plusieurs questions auprès de l’équipe de recherche. Est-ce des années d’exception ou bien le commencement d’un changement profond chez la population du béluga du Saint-Laurent? Il est encore trop tôt pour dire. Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM, souligne néanmoins que ces transformations « coïncident avec des changements plus profonds dans l’écosystème ». Selon le dernier rapport sur les conditions océanographiques du Saint-Laurent publié par Pêches et Océans Canada en 2025, le Saint-Laurent n’est plus le même : il se réchauffe à une vitesse ahurissante, s’acidifie et se vide de son oxygène. Une nouvelle publication révèle également que la diète des bélugas a changé au cours des deux dernières décennies; avec leurs proies préférées en diminution, ils n’ont pas d’autre choix que d’adopter un régime plus généraliste. Parallèlement, la population des bélugas du Saint-Laurent fait toujours face à de grandes pressions liées aux activités humaines ー la pollution sonore, la contamination, le dérangement ー auxquelles s’ajoute maintenant le réchauffement climatique. Il est plus que jamais crucial de poursuivre nos recherches pour mieux comprendre les bélugas et leur environnement, afin de mieux les protéger. Voilà où la mission du GREMM prend tout son sens à mes yeux.

Un rapport qui dépasse la science

Bientôt 11h30, une cellule nuageuse s’installe dans le parc marin et met fin à notre sortie en mer. Mathieu prépare l’atterrissage du drone; Estelle tend les bras pour le recevoir; Jade-Audrey descend de la plateforme supérieure. Le travail terminé, nous pouvons maintenant regarder le groupe de bélugas sans l’entremise de lentille, sans regard scientifique, simplement les observer pour ce qu’ils sont. « Sans cette partie, il manquerait un bout », souligne Michel.

Jour après jour, année après année, l’équipe de recherche suit et documente l’évolution de la population du bélugas du Saint-Laurent ainsi que les individus qui la composent. À force de les côtoyer, les chercheuses et les chercheurs en viennent à reconnaitre certains animaux par leurs cicatrices, et parfois à s’y attacher. Il y a quelque chose d’unique d’assister à la vie d’une de ces baleines blanches, à découvrir leur caractère, à voir leur histoire se dessiner sous nos yeux. Connue depuis 2004, Miss Frontenac ー alias Scarvo ou Dl2286 ー en est un bon exemple. Michel la reconnait depuis les jours qui ont suivi sa naissance, due à une grande cicatrice sur son dos. Il a pu accéder à des ellipses de sa vie. Ce sont des animaux dynamiques, curieux, résilients et c’est une réelle « chance de travailler avec eux. »

Reportage terrain - 4/12/2025

Lilly de Cotret

Lilly de Cotret a rejoint l’équipe en 2025 en tant que naturaliste et rédactrice. Passioné·e de biologie et d’environnement, iel cherche à devenir un·e agent·e de changement pour bâtir une société sensible, bienveillante et éduquée envers l’humain et le non-humain. Iel poursuit son objectif auprès du GREMM pour sensibiliser la population sur les beautés du monde marin et ses menaces.

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