Je suis sur le traversier entre Trois-Pistoles et Les Escoumins, quand je reçois un appel. À vrai dire, je l’ai manqué, car au même moment se déroulait un exercice de sauvetage par l’équipage, qui avait capté toute mon attention. C’est donc au milieu des acclamations , une fois que le malheureux gilet de sauvetage jeté à l’eau a été secouru, que je rappelle Patrick, responsable du programme d’intervention pour Urgences Mammifères marins (UMM). Une intervention est prévue le lendemain matin pour prélever des échantillons sur une carcasse de petit rorqual échouée non loin de Pessamit sur la Côte-Nord. Patrick me propose de participer à l’intervention, une opportunité à ne pas manquer!

Une matinée pas comme les autres

Jeudi 4 juillet, il est 5h50 quand je pars pour l’entrepôt avec Patrick, où nous retrouvons Méduline, technicienne pour UMM. Entre sortir les équipements de protection et la préparation des sacs d’échantillons, Méduline m’explique sa routine de préparation pour ce genre d’intervention avant que l’on prenne la route tous les trois pour retrouver le petit rorqual à 1h45 de route.

Ce petit rorqual avait d’abord été signalé au large de Ragueneau la semaine précédente, le 26 juin. En réponse au signalement, reçu en début de soirée, un bénévole du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM) s’est déplacé en bateau pour confirmer l’espèce et prendre des photos. Étant donné que la nuit approchait, et que la marée descendante entrainait déjà la carcasse vers le large, une étiquette a été posée sur la carcasse du petit rorqual afin de l’identifier et de générer de nouveaux signalements. Lors de son intervention, le bénévole a pu documenter des lésions récentes d’empêtrement sur la face caudale de l’animal.

Quelques jours plus tard, le 30 juin, un nouveau signalement a été fait : la carcasse a été retrouvée, cette fois-ci à Papinachois, non loin de la communauté de Pessamit. C’est l’opportunité pour le RQUMM de prélever des échantillonnages de peau, gras, muscles et de fanons sur la carcasse de ce petit rorqual! Ces prélèvements constituent une mine d’or d’informations pour les partenaires scientifiques du RQUMM, qui, grâce à des analyses, peuvent reconstituer l’histoire de l’animal pour mieux comprendre le rôle et l’impact des différents facteurs environnementaux ou d’origine humain susceptibles d’affecter les populations de mammifères marins. Chez les petits rorquals, espèce non en périls du Saint-Laurent, ces échantillonnages permettent de réaliser un suivi de la population.

Aujourd’hui, nous allons rejoindre une équipe d’agents territoriaux de la communauté de Pessamit sur le site d’échouage du petit rorqual. Ces trois personnes chaleureuses, nous accompagnent sur le terrain et participent à l’intervention.

Je laisse mon esprit vagabonder durant le trajet. Allais-je vraiment supporter d’être à proximité d’un rorqual mort? J’ai déjà, dans mes emplois passés, participé à des nécropsies d’animaux de ferme sans problème. Mon attachement pour les mammifères marins allait-il rendre la vision du petit rorqual échoué insupportable?

Il est temps de rendre visite au petit rorqual!

Nous arrivons sur une magnifique anse, digne de la beauté sauvage de la Côte-Nord. Au milieu de ce tableau se trouve la carcasse du petit rorqual au loin. La marée est encore basse, il n’y a pas de temps à perdre pour faire l’échantillonnage! Je me retrouve à enfiler une salopette, de grosses bottes, avant de partir en direction du cétacé avec la petite équipe.

Le vent nous épargne l’odeur de la carcasse une fois à proximité du rorqual. Sans perdre de temps, Méduline commence la documentation de la carcasse et la prise de photos. La peau du rorqual commençait à se retirer, mais les marques d’empêtrement au niveau de la nageoire caudale sont encore bien visibles. Si le spectacle aurait pu en dégouter plus d’un, mon côté scientifique a pris le dessus et je me suis mise à analyser chaque partie de la carcasse avec attention. Que c’est étrange de voir un rorqual en entier, qui plus est dans cette condition!

Les étapes de l’intervention

Une fois la documentation de la carcasse finie, j’effectue avec Patrick toutes sortes de mesures du rorqual. Longueur totale, de l’œil au bout de la tête, de la nageoire pectorale à la caudale, chaque partie du rorqual est mesurée! Il ne reste plus que de mesurer l’épaisseur de la couche de graisse, qui nécessite de réaliser des entailles sur la carcasse. Au premier trou effectué par Méduline, une pression impressionnante se dégage du rorqual. Elle me tend ensuite le couteau. L’idée que je réalise moi-même une entaille me fait sentir bizarre, comme si inconsciemment j’ai peur de faire mal à l’animal. Pourtant, ce petit rorqual est bel et bien mort depuis plusieurs jours. C’est sur cette pensée que je me mets à la tâche.

Enfin, nous arrivons  à la dernière étape de l’intervention, celle de l’échantillonnage. Je suis à nouveau couteau à la main, cette fois pour échantillonner une partie de la couche de graisse. Une tâche pas si facile, le couteau s’émoussant vite à cause de la graisse de baleine. Je me retrouve donc à devoir m’appuyer sur le petit rorqual, dégoulinant de graisse, pour avoir une meilleure prise. C’est à ce moment que je me rends compte que je n’ai pas osé toucher directement le rorqual depuis le début de l’intervention, malgré mon équipement de protection personnel. Ce n’est pas le dégoût ou la peur de me salir, mais tout simplement qu’il m’est inconcevable que je sois aussi proche d’un de ces géants des mers, ce petit rorqual mesurant tout de même 7 mètres!

Une fois l’échantillonnage fini, il est temps de rentrer. En jetant un dernier coup d’œil, je vois que la marée est presque rendue au niveau de la carcasse. Dans quelques jours, le Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) interviendra pour retirer la carcasse du petit rorqual, sa proximité avec une habitation la rendant nuisible. Dans une autre situation, sa carcasse aurait été laissée à la marée, et devenir bénéfique à la vie marine une fois la carcasse déposée au fond de la mer

Quelle expérience insolite!

Carnet de terrain - 18/7/2024

Chloé Pazart

Chloé Pazart est rédactrice scientifique pour Baleines en direct et naturaliste au GREMM pour la saison estivale 2024. Diplômée en France d'une Maitrise en écotoxicologie, sa curiosité pour le monde marin l'a amenée au Québec pour compléter une nouvelle Maitrise en océanographie, à l'Institut des Sciences de la Mer de Rimouski. Elle est autant passionnée de la plus petite bactérie présente dans les océans qu'au plus grand des rorquals bleus!

Articles recommandés

Comprendre les effets des conditions physiques et chimiques de l’eau sur les bruits sous-marins

Par : Sarah Duquette, technicienne en gestion des ressources à Parcs Canada Aujourd’hui, mon réveille-matin a sonné à 5h30 et,…

|Carnet de terrain 3/9/2024

Prendre le large avec les dauphins

Par Estelle Pagé, assistante de recherche pour le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) Il est…

|Carnet de terrain 28/8/2024

Un porte-conteneur en détresse dans l’estuaire : le RQUMM sur le pied d’alerte

7 coups brefs et un coup long « J’ai été réveillé par sept coups brefs suivis d'un coup long. C’est le…

|Carnet de terrain 14/3/2024