«Hey regarde! Là! Un béluga!»
Perché.e.s sur notre plateforme d’observation sur la montagne sacrée de Gros-Cacouna, Sami et moi rivons nos jumelles vers l’estuaire. Nous pourrions bientôt avoir à faire décoller un drone.
À deux, nous formons la Brigade Béluga de la rive sud du fleuve Saint-Laurent, où nous occupons le rôle d’assistant.e.s de recherche pour le projet Fenêtre sur les bélugas (FSB).
Cela faisait déjà plusieurs heures que nous guettions la surface de l’eau, à la recherche de petites bosses blanches qui percent la surface. La soudaine apparition de ces cétacés nous emballe. C’est pourtant loin d’être notre première rencontre avec la baleine blanche.
En effet, notre travail cet été consiste à observer et à recueillir des données de recherche sur les bélugas. Je repère facilement le troupeau qui vient d’arriver. Le contraste entre la peau blanche des bélugas et le bleu acier du fleuve est d’une aide précieuse.
Sami s’empresse de préparer le drone pour le décollage. Pendant ce temps, j’alterne entre mes lunettes correctrices et mes jumelles pour m’accrocher visuellement aux bélugas qui disparaissent et réapparaissent ponctuellement à la surface, comme s’ils jouaient à cache-cache.
Ça sera peut-être notre seule chance de la journée de filmer ces baleines. Il ne faut pas la rater.
FSB : Une nouvelle perspective sur la vie des bélugas
La recherche sur les mammifères marins fait appel aux drones depuis environ 10 ans seulement. Déjà, elle a su démontrer son potentiel.
En survolant la faune marine*, les scientifiques peuvent recueillir de l’information précédemment inaccessibles, comme les mensurations des individus et les comportements sociaux sous la surface de l’eau. Ce sont des données précieuses pour la recherche, mais aussi des images magnifiques pour sensibiliser à la vie riche et fragile des bélugas.
Le potentiel des drones sème l’idée de FSB dans la tête de Robert Michaud, cofondateur du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM).
Pilotes d’une «saison pilote»
L’idée d’utiliser les drones à des fins de recherche et d’éducation est simple, mais son application est loin de l’être.
FSB est en préparation depuis plusieurs années, En collaboration avec le Réseau d’Observation des Mammifères Marins (ROMM), mais en est à sa première saison d’opération. Pour ouvrir cette fenêtre, l’équipe derrière le projet a dû faire preuve de créativité à maintes reprises; les défis logistiques, technologiques et humains abondaient.
Du côté de la Brigade béluga, nous avons dû nous adapter aux conditions du site, aux modifications apportées aux protocoles et à la sensibilité des drones, par exemple.
Au-delà des vols de drones, une partie importante des tâches se fait au bureau. Il faut organiser nos données, qui seront ensuite examinées par l’équipe de recherche, cet hiver. À partir de nos observations terrestres et de nos vidéos, elle étudiera les comportements sociaux et l’état de santé des bélugas observés: un volet qui s’inscrit dans le projet de l’Observatoire des bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent.
Malgré les obstacles rencontrés durant cette «saison pilote», c’est excitant de prendre part au développement d’un tel projet, qui ne cessera de s’améliorer au fil des années.
Bé-bélugas à Cacouna
Pour revenir à nos bélugas – Cacouna serait une des pouponnières de la population du Saint-Laurent.
Souvent, on y observe de petits groupes dispersés, composés d’une poignée d’individus adultes et juvéniles. Parfois, ils sont en transit vers l’amont et d’autres fois vers l’aval. Ils peuvent cependant rester plusieurs heures devant nous, à s’alimenter et à jouer.
Le drone nous donne une vue imprenable sur les comportements sociaux des bélugas. Alors que certains nagent seuls, d’autres forment des groupes dynamiques qui paraissent jouer ensemble. Nous assistons aussi à de belles interactions entre des femelles et leurs veaux. Ce sont des scènes qui pour nous, en tant qu’observateur.rice.s, nous émeuvent.
Il n’est donc pas surprenant que Cacouna soit un site prisé pour le développement de FSB.
Les p’tits caprices
La présence des bélugas varie au fil d’une journée et au fil des mois, mais peu importe nos observations, c’est toujours une belle journée sur la montagne.
En effet, le cœur de notre travail est très dépendant de la météo. Les drones ne tolèrent pas la pluie, la brume, le vent fort, les crises solaires électromagnétiques… bref, ce sont des petites bêtes capricieuses.
Une fois l’aéronef dans les airs, il faut savoir le piloter de manière à recueillir des données de recherche utilisables. Ce n’est pas aussi simple que de contrôler une manette de Nintendo!
Dans un but d’efficacité, Sami et moi avons mis au point une technique de communication entre pilote et assistant.e-pilote qui permet de repérer les bélugas le plus rapidement possible à partir du drone. Il faut se rendre à eux – délicatement – avant qu’ils replongent dans les profondeurs de l’estuaire.
Tout prend son sens lorsqu’enfin, la baleine blanche apparait à l’écran. Elle expire, puis elle inspire. Et elle ne cesse de nous émerveiller.
*Le projet Fenêtre sur les bélugas est un projet collaboratif géré par le GREMM et le ROMM en partenariat avec Raincoast Conservation Foundation, Parcs Canada, la Sépaq et la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk. Il est rendu possible grâce à un investissement de 1,1M$ de Pêches et Océans Canada grâce au Fonds de la nature du Canada pour les espèces aquatiques en péril (FNCEAP), et à un investissement de 600 000$ du gouvernement du Québec (ministère des Forêtsde la Faune, et des Parcs et ministère du Tourisme du Québec).
Par : Christine Beaudoin