Chassées, menacées, décimées.
Les plus géantes de toutes les baleines ont subi les assauts de l’être humain au cours du 20e siècle et peinent encore à s’en remettre. Dans l’optique de mieux comprendre les rorquals bleus et pour mettre en place des mesures de conservation adéquates, des scientifiques du Canada et de la Norvège se sont penchés sur les mystères de leur génétique.
C’est en janvier dernier que le verdict tombe : environ 3,5 % de l’ADN des rorquals bleus de l’Atlantique Nord serait en fait issu des rorquals communs. Étonnant, sachant que ces deux espèces ont divergé il y a 8,35 millions d’années!
Des millions d’années d’évolution à déterrer
Les rorquals bleus détenaient jusqu’à tout récemment les secrets de plusieurs millions d’années d’évolution au creux de leur ADN. Toutefois, grâce à des technologies avancées en analyse génétique, une équipe de recherche norvégienne et canadienne a dévoilé l’information génétique de 28 rorquals bleus, dont les échantillons sont datés de 1876 à 2019.
Les scientifiques ont appris par ces analyses que l’ADN des rorquals bleus de l’Atlantique Nord serait en moyenne composé à 3,5% d’ADN aussi retrouvé chez les rorquals communs, davantage que ce qui avait été précédemment déterminé. Ce pourcentage indiquerait que des individus hybrides – et fertiles – se seraient reproduits avec des rorquals bleus. Fait à noter : ce transfert de gènes s’effectuerait à sens unique seulement, c’est-à-dire du rorqual commun vers le rorqual bleu, ou d’hybride vers le rorqual bleu.
Parmi les échantillons les plus récents étudiés par les scientifiques, tous présentaient un transfert de gènes. Ce transfert, appelé introgression, a aussi été observé pour quatre des six échantillons les plus anciens. Un hybride de première génération a aussi été identifié, c’est-à-dire un individu issu directement d’un accouplement entre un rorqual bleu et un rorqual commun.
Les échantillons analysés par l’équipe de recherche et datant de la fin du 19e siècle provenaient de musées d’histoire naturelle du Canada, des États-Unis, de l’Islande et de la Norvège. Le reste des échantillons a été prélevé sur des rorquals bleus – vivants ou morts – fréquentant la côte est canadienne et les eaux norvégiennes. Sept rorquals communs ont aussi été échantillonnés en Norvège par les scientifiques.
Pourquoi se reproduire avec une autre espèce?
L’hybridation peut se produire artificiellement – avec une implication humaine – ou naturellement. La mule, un exemple bien connu, est issue d’un rapprochement initié par l’humain entre une jument et un âne, alors que l’hybridation entre rorquals bleus et communs est survenue naturellement.
D’autres espèces se reproduisent aussi ensemble, comme les ours blancs et les grizzlys. Cette tendance à se reproduire naturellement avec d’autres espèces fait partie du cours de l’évolution, et permet d’être toujours mieux adapté! Elle pourrait d’ailleurs être une conséquence de perturbations dans l’environnement des animaux en question. Serait-ce le cas pour les rorquals bleus et les rorquals communs?
Sans surprise, la chasse à la baleine est venue chambouler la dynamique des populations de rorquals bleus et communs, qui ont vu leur nombre chuter drastiquement en très peu de temps. On compterait aujourd’hui entre 5000 et 15 000 rorquals bleus dans le monde – ce qui équivaut à 3-11% de la population initiale, d’après les scientifiques responsables de l’étude. Pour les rorquals communs, le décompte s’élèverait actuellement à 150 000 mondialement, et on estime que plus de 915 000 furent tués par la chasse commerciale.
Est-ce que la reproduction entre des membres des deux espèces serait un moyen de pallier au manque de partenaires, comme la population de rorquals bleus est actuellement quatre fois plus petite que celles des rorquals communs? Les raisons derrière ces mélanges génétiques restent à déterminer.
Un nouveau défi pour la conservation
À quoi ressemble un rorqual hybride? Parfois surnommés flue whale en anglais – mélange entre fin whale et blue whale, les petits noms de ces rorquals dans la langue de Shakespear -, les hybrides pourraient présenter des traits des deux espèces. Comme il est plutôt difficile de maintenir visuellement le compte de la population de rorquals bleus avec ce nouvel enjeu qu’est l’hybridation, cela pourrait mener à une surestimation du nombre d’individus.
Qui plus est, plus hybridation il y aura, plus l’intégrité génétique des rorquals bleus sera menacée. Quand le bagage génétique d’une espèce est intègre, c’est qu’il n’a pas été modifié et est encore unique à l’espèce. Lorsque des espèces distinctes se reproduisent ensemble, il y a inévitablement un mélange au niveau de l’ADN. Advenant le cas où l’hybridation entre rorquals bleus et communs continue de prendre de l’ampleur, le nombre de rorquals bleus dont l’ADN est intègre sera moindre.
Les scientifiques suivront donc avec attention cette tendance à l’hybridation, car comme elle semble être à sens unique, l’hybridation menace le rétablissement des populations de rorquals bleus de l’Atlantique Nord.