Saviez-vous que la pieuvre était apte à résoudre des énigmes et à rêver? Que le cochon montrait des signes d’empathie? Que les épaulards et les corbeaux avaient conscience de leur propre existence? L’étonnement des scientifiques face à l’étendue de l’intelligence animale n’a pas rendu son dernier souffle. Les études se multipliant, les scientifiques commencent à mieux saisir les différentes formes d’intelligence animale, qui varient selon l’espèce étudiée, son environnement et son évolution. Trop longtemps des conceptions centrées sur l’humain ont encadré notre vision de l’intelligence, mais des changements s’opèrent petit à petit dans le milieu scientifique.
Prendre conscience de nos biais cognitifs
Le biais cognitif humain dans l’étude de l’intelligence animale renvoie à notre tendance – plus ou moins consciente – à interpréter les comportements ou les habiletés des animaux en fonction de notre propre interprétation du monde et de notre propre intelligence. Qui ne s’est pas déjà attristé devant un chien piteux qui attend patiemment en face d’un commerce que son maître revienne à lui? En qualifiant le chien de « piteux » et en lui attribuant un caractère, « patient », on projette sur l’animal des sentiments humains. Ce premier biais, appelé anthropomorphisme, est le plus répandu dans le domaine de la science, et peut entraîner une compréhension erronée des motivations réelles des animaux.
Dans le cadre de la recherche scientifique sur l’intelligence animale, ces biais peuvent être problématiques puisqu’ils affectent l’interprétation des résultats. Par exemple, une chercheuse pourrait écrire dans son rapport qu’un corbeau a manifesté de l’empathie après que celui-ci ait laissé un morceau de nourriture près d’un congénère blessé. Ce constat n’est pas forcément faux, mais il implique que l’animal a des intentions ou des sentiments similaires à ceux de l’humain, ce qui n’est peut-être pas le cas.
Dans un article publié dans National Geographic, Kristina Horback, professeure adjointe au département des sciences animales de l’université de Californie, discute du biais cognitif humain : « L’un de nos plus grands défis est notre incapacité à saisir la façon dont les autres espèces traitent l’information », déclare-t-elle. Certaines espèces animales ont des sens beaucoup plus aiguisés que nous les humains, si bien qu’il nous est extrêmement difficile de se les expliquer. La nécessité de s’adapter à des environnements toujours changeants a permis aux animaux de développer des habiletés – et des sens – de plus en plus bénéfiques à leur survie.
Une sensibilité olfactive inégalable
Prenons l’exemple du condylure étoilé, une petite taupe résidente de l’Amérique du Nord, qui présente une merveilleuse adaptation évolutive. Bien que presque aveugle, cette taupe est dotée d’un étrange nez en forme de main remarquablement sensible. Lorsqu’elle chasse, elle utilise cet organe tactile pour taper le sol entre 10 et 12 fois par seconde, envoyant instantanément des informations à son cerveau par le biais de 100 000 fibres nerveuses. C’est six fois plus de capteurs tactiles qu’une main humaine! Bénéficiant de la zone épidermique la plus sensible de tout le royaume des mammifères, elle peut déterminer en un clin d’œil – ou de nez – si un aliment est comestible, puis le dévorer en une fraction de seconde.
Pourrait-on affirmer que des capacités sensorielles exceptionnelles sont signes de formes d’intelligence différentes? D’autres espèces, comme les requins, sont extrêmement sensibles aux courants électriques, tandis que certains insectes peuvent percevoir la lumière ultraviolette. Les serpents, quant à eux, sont dotés d’une vision infrarouge leur permettant de localiser leurs proies même dans l’obscurité. Il ne faudrait surtout pas omettre la faculté d’écholocalisation des baleines à dents et de certains mammifères terrestres! Ces capacités fascinantes, propres à chaque espèce, témoignent de la puissante force de l’évolution et soulignent la place qu’occupent nos propres sens dans les limitations de notre compréhension de l’intelligence animale.
Un autre biais, celui de la méthodologie expérimentale, fait référence à l’implication omniprésente de l’humain dans l’élaboration des tests d’intelligence animale. N’étant pas adaptés aux capacités spécifiques des animaux, ces tests pourraient omettre certaines formes d’intelligence animale. Pour mieux illustrer le phénomène, prenons l’exemple du test du miroir, développé dans les années 1970 par un Américain du nom de Gordon Gallup Jr.
Ce test permettrait d’évaluer la perception de soi. Il est communément admis que la vue est un sens essentiel chez l’humain. Cependant, les animaux qui se fient davantage à d’autres sens qu’à leur vision pourraient ne pas accorder beaucoup d’intérêt à la vue de leur reflet. Les chiens, qui reconnaissent les autres principalement grâce à leur odorat, peuvent rapidement conclure que l’image dans le miroir n’est ni la leur ni celle d’un autre animal, puisqu’aucune odeur n’y est rattachée. Le même parallèle peut être établi pour notre condylure étoilé, dont la vision est presque nulle. Le test du miroir présente donc un biais et ne permet pas de mesurer efficacement la perception de soi.
On observe également le biais de sélection des espèces, caractérisé par l’étude préférentielle d’animaux facilement accessibles ou qui sont en interaction étroite avec l’humain. Ce « favoritisme » peut conduire à une sous-estimation de l’intelligence de certaines espèces, comme les espèces marines vivant dans les abysses ou encore les insectes, qui sont souvent boudés par les scientifiques.
Parmi les autres types de biais existants, notons le biais de confirmation et le biais culturel. Le premier nous pousse à privilégier les informations qui confirment nos croyances antérieures et à négliger les preuves contraires. Le second pourrait se manifester dans certaines cultures qui considèrent certains animaux moins intelligents ou moins sensibles que d’autres, entraînant ainsi une sous-évaluation de leurs aptitudes cognitives dans un cadre scientifique. Une quantité étonnante de biais existe, mais nous ne nommerons que ces principaux.
Pour éviter ces biais cognitifs dans l’étude de l’intelligence animale, il est impératif d’utiliser des méthodes rigoureuses et objectives. Cela suppose de concevoir des expériences qui tiennent compte des particularités propres à chaque espèce étudiée, tout en demeurant ouverts à de nouvelles découvertes susceptibles de remettre en question nos idées préconçues sur l’intelligence animale.