Pas de dos, pas de souffle, pas l’ombre d’une queue. Rien, nada, niet. « Pas de baleines cette semaine », me soufflent plusieurs observateurs et observatrices.  Alors, au lieu de me parler de cétacés, ceux qui ont les yeux sur le fleuve me parlent de la glace. Cette couche blanche qui s’est formée ces dernières semaines sur les eaux du Saint-Laurent et s’étend grâce aux vagues de froid successives.

Au niveau de Franquelin, « la glace s’étend sur quelques kilomètres, je ne vois même pas le bout, précise un riverain. Et tant qu’il y aura de la glace, je ne pourrai rien voir au large! ». Un peu plus en aval, un observateur souligne : « C’est la première fois depuis le début de l’hiver que la baie Sainte-Marguerite, qui se trouve entre Sept-Îles et Port-Cartier, est entièrement recouverte de glace ». La baie de Gaspé, elle aussi, est presque immobile dans son carcan immaculé. Cette couverture importante, qui s’étend tout le long des rives, était, semble-t-il, prévisible, si on en croit le rapport publié début décembre par le Service canadien des glaces d’Environnement et Changement climatique Canada.

Une couverture de glace aux multiples bénéfices

Couplée aux vents rigoureux qui limitent l’observation et aux fumées qui s’élèvent des eaux libres du fleuve, la glace n’est pas un atout pour observer les cétacés. Paradoxalement, elle a tendance à réjouir les  amateurs de baleines. Car tout porte à croire que la formation de glace est utile, sinon indispensable, à l’écosystème du Saint-Laurent. Elle protège notamment le littoral de l’érosion, fournit un espace sécuritaire pour la mise bas des phoques du Groenland, et contribue à la fertilité des eaux.

« Le couvert de glace alourdit les couches superficielles de l’eau, et pousse ces eaux de surface chargées en oxygène vers le fond, explique le passionné d’océanographie Jacques Gélineau. Ainsi, lorsque de la glace se forme sur le Saint-Laurent, les jeux de courant se modifient, permettant une meilleure oxygénation et un refroidissement des couches intermédiaires et inférieures de l’eau. Cette glace va également, au printemps, permettre le relargage de nutriments et favoriser les échanges verticaux au sein de la colonne d’eau. En bref, cette couche de glace hivernale est une bonne nouvelle pour la productivité du Saint-Laurent, notamment en termes de production de krill ». Cet effet en cascade pourrait-il attirer davantage de rorquals bleus, après une année en demi-teinte pour les géantes des mers? C’est en tout cas ce que pense notre interlocuteur.

2021, une année sans glace

À l’inverse de cette année, l’hiver précédent avait été particulièrement doux, et peu ou pas de glace s’était formée sur le Saint-Laurent. Un phénomène qui n’est arrivé que 5 fois depuis le début des relevés, soit en 1958, 1969, 2010, 2011 et 2021. L’hiver doux et l’absence de glace de 2021 a eu des conséquences importantes sur l’érosion et sur la biodiversité, mais a aussi et surtout contribué à atteindre des températures anormalement élevées et une diminution de l’oxygénation dans les couches intermédiaires et profondes de l’eau. Ce genre d’année record risque de se répéter de plus en plus fréquemment, s’inquiètent les chercheurs. C’est pourquoi la glace de ce début d’année 2022 est accueillie avec soulagement.

Vous pouvez explorer les données recueillies concernant la couverture de glace sur le site de l’Observatoire global du Saint-Laurent ou celui d’Environnement Canada

Des phoques et des documentaires

Semaine blanche, côté baleines, certes. Mais à défaut de cétacés, ne boudons pas le plaisir d’observer les pinnipèdes présents. Au cap de Bon-Désir, sur la commune des Bergeronnes, le photographe Renaud Pintiaux a aperçu la silhouette d’un phoque commun. Quelques phoques communs sont aussi signalés, dans la baie de Gaspé, « dans le peu d’eau libre », alors qu’à Saint-Yvon, c’est le calme plat… « Même pas l’ombre d’un petit museau! », s’attriste l’une de nos observatrices.  À Longue-Pointe-de-Mingan et à Sept-Îles, on nous rapporte plutôt des phoques du Groenland se reposant sur la glace.

Et puis, si l’on ne peut pas voir les baleines en hiver, Jacques Gélineau a une solution : continuer à parler de ces géantes et de leur habitat. Profitant de la saison froide, celui-ci travaille à une future émission pour NousTV. Le sujet? Le golfe du Saint-Laurent, bien évidemment!

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Observations de la semaine - 3/2/2022

Laure Marandet

Laure Marandet est rédactrice pour le GREMM depuis l'hiver 2020. Persuadée que la conservation des espèces passe par une meilleure connaissance du grand public, elle pratique avec passion la vulgarisation scientifique depuis plus de 15 ans. Ses armes: une double formation de biologiste et de journaliste, une insatiable curiosité, un amour d'enfant pour le monde animal, et la patience nécessaire pour ciseler des textes à la fois clairs et précis.

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