Les marsouins, rarement étudiés au Québec, ont fait parler d’eux dernièrement dans une étude portant sur les comportements d’alimentation. En utilisant des drones, des chercheurs de l’Université du Sud du Danemark ont réussi à obtenir un portrait plus complet des habitudes de chasse du marsouin, et les résultats de l’analyse ont provoqué la surprise chez les spécialistes. En plus de chasser en groupe, les marsouins s’attribueraient des rôles spécialisés!

De vrais gloutons

Au cours des printemps et étés 2018 et 2019, les chercheurs ont filmé les marsouins visibles sous l’eau et à la surface dans de courtes séquences vidéo. Ils ont observé des comportements d’alimentation pendant près de la moitié du temps d’enregistrement, ce qui confirme les connaissances préalablement détenues concernant le métabolisme rapide des marsouins et leur besoin de se nourrir nuit et jour pour survivre. Ils se nourrissent de poissons en bancs comme le capelan, ou encore de calmars, de crustacés et de plus gros poissons solitaires.

Parmi ces séquences vidéo reliées à l’alimentation, les deux tiers montrent un groupe de marsouins s’adonnant à la chasse. Les activités d’alimentation semblent donc plus fréquemment exécutées en groupe qu’en solo. Ces données indiquent également que les marsouins se rassembleraient précisément pour la chasse. En effet, dans les enregistrements, les activités d’alimentation de groupe représentent presque 100% du temps passé en groupe, alors que les activités d’alimentation solitaires représentent seulement un tiers du temps passé seul.

Ces résultats sont étonnants, parce que le marsouin était jusqu’à présent considéré comme un animal solitaire, et que les comportements de chasse en groupe sont normalement associés à des espèces dont les individus entretiennent des liens sociaux très serrés, par exemple les lions, les loups, les dauphins et les épaulards.

Mais ce n’est pas tout. Les chercheurs ont ensuite analysé trois enregistrements vidéo où se déroulait une chasse en groupe, et ils ont remarqué que les individus marsouins semblaient adopter des comportements distincts les uns des autres lors de l’activité d’alimentation, ce qui indique normalement une chasse collaborative!

Qu'est-ce que la chasse collaborative?

La coopération est un comportement social qui a été observé chez plusieurs espèces d’animaux dits «sociaux.» La chasse coopérative a lieu lorsqu’un certain nombre d’individus prédateurs coordonnent leurs actions afin de traquer et de capturer plus efficacement leurs proies. Cette alliance n’est pas nécessairement intentionnelle, mais davantage instinctive ou circonstancielle.

La chasse collaborative, elle, est beaucoup plus rarement observée. Les animaux y présentent des comportements plus complexes où l’action de chaque individu du groupe prédateur complète celle des autres afin d’augmenter les chances du groupe entier de se nourrir de la même proie. Chaque individu se concentre sur une action, dont le succès dépend des actions des autres. Par exemple, chez les loups, les meutes se séparent en deux; une partie se cache et l’autre conduit les proies vers les individus cachés. Les lions et les lynx, quant à eux, encerclent les proies et les approchent de tous côtés afin de leur tendre une embuscade.

Ainsi, dans une opération de chasse collaborative, les individus adoptent des rôles distincts, qu’ils conservent ou qu’ils modifient au cours de leur activité. C’est ce phénomène qu’on appelle la spécialisation des rôles.

Collaborateurs, ces marsouins!

Les chercheurs ont identifié 6 comportements que les marsouins adoptent pendant leur activité d’alimentation: traverser le banc de poissons pour le désorganiser, rassembler de nouveau le banc, surveiller les limites rapprochées ou éloignées du terrain de chasse, tenter une attaque, et s’éloigner du banc de poisson.

Voici donc la stratégie qu’on soupçonne les marsouins d’utiliser : un individu s’occupe de traverser le banc de poisson et de le rassembler ensuite, tandis que les autres surveillent les extrémités du banc de poissons afin de s’assurer que ces derniers ne puissent pas fuir. Chaque fois que le marsouin traverse le banc, les poissons sursautent et risquent d’atteindre la «zone de confusion», un état de panique extrême. L’individu marsouin les désorganise en brisant et réparant le banc à répétition. Une fois la zone de confusion atteinte, les poissons se divisent brusquement et simultanément dans une ultime tentative d’échapper à leurs prédateurs. Ce serait au moment de cette «explosion» du banc de poissons que les marsouins attaqueraient chacun une proie isolée et vulnérable.

L'étendue de notre ignorance

Les comportements alimentaires des marsouins demeurent très mystérieux: les chercheurs ne savent pas encore si ces animaux conservent les mêmes rôles à travers le temps, s’ils se rassemblent fréquemment, s’ils communiquent pendant leur chasse… Pour le découvrir, il faudra parvenir à mieux identifier les individus et à les suivre pendant une plus longue période de temps.

Ainsi, cette étude se présente comme un rappel fascinant de tout ce que nous ignorons encore et qu’il nous reste à explorer. On se rend compte qu’on ne connait pas bien les comportements des marsouins et qu’ils entretiennent peut-être entre eux des liens sociaux très étroits, qu’on interprète mal ou qu’on ne comprend tout simplement pas.

Actualité - 14/6/2021

Frédérique Paré-Bastarache

Amoureuse du fleuve et de la nature, Frédérique a rejoint l’équipe de Baleines en direct en tant que stagiaire à l’été 2021. Elle vient tout juste de compléter un certificat en création littéraire et s’engagera à l’automne dans des études en littérature. Calme, elle utilise son sens de l’observation pour s’imprégner de ses différents habitats et pour en apprendre plus sur la faune et la flore du Québec. Elle fréquente les régions de Charlevoix et de la Haute-Côte-Nord depuis longtemps; à son avis, il s’agit du plus beau coin du monde, là où la montagne se déverse dans l’estuaire et où les souffles de baleines donnent les directions vers où aller demain.

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