Depuis quatre décennies, la recherche sur les comportements des rorquals bleus tente de démystifier leur mode de reproduction. Un peu comme un iceberg, il est possible d’observer les rorquals à la surface, mais qu’en est-il du 95% du temps passé sous l’eau? Où se reproduisent-ils, et quand?
Les baleines bleues sont connues pour leurs grandes migrations annuelles, entre les hautes latitudes pour se nourrir dans les eaux froides et productives comme celles du Saint-Laurent, et les basses latitudes, pour mettre bas en eaux plus chaudes. Mais pour certaines populations de rorquals bleus, la route de migration n’est pas aussi claire et n’est peut-être pas liée à la reproduction. Même que la reproduction pourrait avoir lieu dans des endroits différents et à des saisons différentes.
Une étude publiée dans le journal Marine Mammal Science en septembre dernier fait un peu plus de lumière sur le cycle de vie des mystérieuses baleines bleues. Trois observations visuelles de trios de rorquals bleus ont été associées avec des enregistrements acoustiques pour tenter de comprendre la fonction des comportements et des vocalisations. Fait intéressant, les observations ont été faites tant du côté de l’Atlantique Nord (estuaire du Saint-Laurent) que du Pacifique Sud (golfe d’Ancud).
La pointe de l’iceberg
Ce que les chercheurs ont pu observer à la surface, ce sont les grands rorquals bleus formant des paires, dans les aires d’alimentation tant du côté de l’Atlantique que du Pacifique, durant plusieurs jours ou plusieurs semaines avant d’entamer leur grande migration, potentiellement vers les mers plus chaudes. Grâce à la photo-identification ou grâce à des biopsies, plusieurs paires ont pu être confirmées comme étant des mâles et des femelles ensemble. Mais ces paires peuvent être dérangées par d’autres mâles, formant alors des trios spectaculaires pendant plusieurs minutes. À la surface, la femelle nage à une bonne vitesse tandis que deux mâles la poursuivent. Imaginez-vous deux rorquals bleus, les plus grands animaux de la planète, dans toute leur envergure, se propulser l’un contre l’autre. Gare à la houle! Ce comportement est surnommé «rumba» par le chercheur spécialiste des rorquals bleus et coauteur de l’étude Richard Sears.
Cette course physique entre les trois animaux serait-elle un prélude à la reproduction pour gagner le cœur (ou d’une façon moins romantique, l’accès) d’une femelle? Probablement, selon les experts!
Le D-Call, qu’est-ce qui se dit sous la surface?
Mais outre les observations de surface, un autre indice vient d’être décodé afin d’aider les chercheurs à démystifier le jargon reproductif des baleines. L’enregistrement acoustique des communications des trois trios ont été corrélés avec l’observation de rorquals bleus se faisant la cour. Dans les trois cas, les trios produisaient des cris appelés «D-Call» de façon répétée seulement durant la formation du trio.
Le cri appelé D-Call est enregistré dans presque toutes les populations de rorquals bleus dans des situations où une certaine cohésion sociale serait nécessaire, par exemple entre une femelle et son petit et est généralement produit dans des contextes où un autre rorqual bleu se trouve à proximité. Dans les cas présentés dans l’étude, les D-Call enregistrés près des trios étaient répétés à courts intervalles. C’est la première fois que des cris ainsi répétés sont enregistrés pour cette espèce. Au moins deux individus produisaient des D-Call, puisque certains cris se superposaient.
Les baleines bleues se chanteraient-elles la pomme dans le but de gagner le cœur d’une femelle convoitée? Pas exactement. Chez les mammifères marins, un chant est une répétition de types de cris dans un ordre précis. Dans le cas présenté, il s’agit plutôt de la répétition d’un même type de cri. Femelles et mâles produisent des D-Call, ce n’est donc pas comme avec les rorquals à bosse dont seuls les mâles chantent en période de reproduction.
Est-ce que le D-Call en contexte de trio sert à maintenir la cohésion entre la paire initiale? À la femelle à signifier un intérêt pour l’un ou l’autre? La fonction de ces cris reste à préciser. Mais d’un point de vue de conservation, ces cris répétés pourraient bientôt servir de marqueurs acoustiques afin de détecter les aires où les activités reproductives ont lieu. Si nos hydrophones et nos ordinateurs peuvent reconnaitre certains cris, peut-être pourrons-nous trouver les lieux essentiels à la reproduction des rorquals bleus, une espèce en voie de disparition?
«De telles informations sur le comportement reproductif des rorquals bleus sont extrêmement rares, mais cruciales pour mieux comprendre les stratégies de reproduction de cette espèce», selon les auteurs.