Le 30 juin dernier, lorsqu’un béluga nouveau-né orphelin a été retrouvé sur une plage à Rivière-du-Loup, une équipe du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) a transporté l’animal au large pour tenter de le réintégrer dans un groupe de femelles et lui trouver une mère adoptive. Pourquoi les experts ont-ils décidé d’intervenir de cette façon?

Apprendre ou à laisser, c’est ainsi qu’Alain Belhumeur avait titré son court documentaire sur les premières tentatives de sauvetage d’un jeune béluga orphelin. Ce documentaire, vu par des milliers de visiteurs du Biodôme de Montréal, raconte les tribulations philosophiques et les préoccupations des chercheurs pour la sauvegarde de la population de bélugas du Saint-Laurent. Comment les experts devraient-ils intervenir lorsqu’un jeune béluga est trouvé échoué vivant? Peut-on sauver les bélugas un à un? Quelle est la valeur d’un individu dans une population en voie de disparition? Doit-on en tout temps laisser la nature suivre son cours? Les réponses à ces questions ne sont pas simples et les opinions sont partagées. Au fil des ans, à mesure que nous en apprenons davantage sur les bélugas du Saint-Laurent, l’approche des chercheurs qui suivent de près l’évolution de cette petite population en voie de disparition a, et continuera, d’évoluer.

Le premier cas de béluga échoué vivant remonte à 1991. Après avoir reçu les premiers soins sur la plage, le nouveau-né orphelin, trouvé dans la baie de Forestville au lendemain du passage de la queue de l’ouragan Bob dans le Saint-Laurent, fut transporté à l’Aquarium du Québec. L’objectif initial était de retourner l’animal dans son milieu naturel le plus tôt possible. Plus le séjour se prolongeait, moins il serait possible de tenter une réintroduction. Malheureusement, l’animal est décédé à l’Aquarium dix jours plus tard. Un second béluga échoué vivant a été trouvé l’année suivante et amené au Biodôme de Montréal, où il est mort après quatre jours. Entre 1992 et 2007, trois jeunes bélugas ont été trouvés échoués vivants, mais ils étaient en trop mauvais état pour avoir une chance de survie.

En 2008, lors du séjour de Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM, et Janie Giard, coordinatrice scientifique du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins, à l’Aquarium de Vancouver, la naissance d’un béluga a permis de faire évoluer l’approche des chercheurs. Kila, une femelle béluga mère pour la première fois, a abandonné son jeune après la mise bas. C’est une autre femelle, Aurora, la mère de Kila, qui s’est occupée du nouveau-né. L’adoption et l’allaitement spontané, observés à quelques reprises en captivité, sont donc possibles.

Quelques mois plus tard, en 2008, Urgences Mammifères Marins reçoit un signalement pour un béluga nouveau-né échoué vivant à Saint-Siméon. Inspirés par l’adoption du nouveau-né observée à l’Aquarium de Vancouver, et après discussion avec leurs collègues du ministère Pêches et Océans Canada et de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, les chercheurs du GREMM, aidés par l’équipe du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, ont tenté de sauver le nouveau-né en le remettant en mer au sein d’un groupe de femelles et de jeunes. Les cris du nouveau-né ont attiré des bélugas. Le nouveau-né a été pris en charge par quatre groupes de bélugas durant la journée. Au sein du quatrième groupe, c’est une femelle accompagnée d’un jeune de 3-4 ans qui s’en est occupée. Comme une mère, elle le soulevait délicatement avec sa nageoire pectorale et gardait constamment un contact visuel. Les chercheurs ont toutefois rapidement perdu le contact et ne savent toujours pas, après six ans, si l’intervention a réussi, si cette femelle ou une autre a « adopté » l’orphelin.

Entre 2008 et 2015, quelques bélugas ont été trouvés échoués vivants, mais ils étaient tous en trop mauvais état pour qu’une relocalisation soit tentée et ils sont morts rapidement.

Le 30 juin 2016, une femelle béluga de quelques heures à peine fut trouvée sur la plage près de Rivière-du-Loup. Après une évaluation sommaire par vidéo-examen avec Martin Haulena de l’Aquarium de Vancouver, les chercheurs du GREMM ont jugé que l’animal était en assez bonne condition pour tenter une relocalisation. En moins de 6 heures, le nouveau-né a été transporté à bord du bateau de recherche du GREMM, le Bleuvet, et remis à l’eau au sein d’un groupe de femelles et de jeunes. Pour qu’il ait une chance de survie, le nouveau-né devra être adopté et allaité par une femelle adulte. S’il n’est pas adopté, il mourra rapidement. En effet, les nouveau-nés dépendent largement des soins prodigués par leur mère.

Des biopsies ont été faites sur les jeunes bélugas remis en mer en 2008 et 2016. À l’aide des empreintes génétiques, extraites de ces échantillons, les chercheurs espèrent donc avoir la chance de retrouver leurs traces au cours des prochaines années et ainsi de connaitre la suite de leur histoire.

Bien que les chances de réussites de tels sauvetages soient très faibles, pour l’instant, le pari des chercheurs est qu’il vaut tout de même la peine de les tenter, vu l’état critique de la population des bélugas du Saint-Laurent. Les chercheurs souhaitent toutefois revoir l’ensemble de la procédure et évaluer les options qui permettraient de mieux évaluer les chances de succès de ces efforts. Différentes options de suivis télémétriques sont envisagées, mais les méthodes retenues devront être les moins invasives possibles pour ne pas compromettre la survie des jeunes. On doit aussi évaluer d’autres options, telle une courte période de rétention pour mieux évaluer l’état de l’animal et lui prodiguer quelques soins, ou prendre plus de temps pour trouver un groupe prometteur pour la tentative de réinsertion. S’ils sont jugés condamnés, devrait-on plutôt pratiquer une euthanasie pour écourter leur souffrance ou encore envisager d’en offrir la garde à des aquariums gardant déjà des bélugas? Toutes ces options sont possibles. Avec l’augmentation récente des cas de mortalités des femelles en période périnatale, la question devient de plus en plus prioritaire. Non seulement le nombre de cas pourrait augmenter, mais la situation des bélugas devient de plus en plus critique.

Les chercheurs prévoient tenir un atelier avec des experts internationaux au cours de la prochaine année pour éclairer ces choix difficiles.

Urgences Mammifères Marins - 19/7/2016

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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