Des mammifères spécialisés pour la vie aquatique

Les baleines que nous connaissons aujourd’hui sont extraordinairement adaptées à la vie aquatique. Des millions d’années en mer ont favorisé des transformations favorables à la vie dans ce nouvel environnement. Les narines, devenues des évents, sont désormais situées sur le dessus de la tête. Les membres postérieurs ont disparu et les membres antérieurs se sont modifiés en nageoires. Le corps a perdu sa fourrure et presque tous ses poils. Il est fuselé. Une queue horizontale, propulseur puissant, s’est attachée à la colonne vertébrale. Ces adaptations cachent bien la parenté qui existe entre les baleines et leurs plus proches parents actuels.

Mais, comme nous, les baleines sont bien des mammifères. Elles possèdent des poumons et respirent de l’air. Elles ont le sang chaud, c’est-à-dire qu’elles maintiennent leur température interne constante, soit à 37°C. Leur petit se développe dans l’utérus de la mère, est nourri par le placenta pendant la grossesse et est allaité après la naissance.

L’étude de l’origine des espèces et de leur évolution repose en grande partie sur la découverte de fossiles. Ces archives permettent aussi de mieux comprendre les déplacements des animaux au fil du temps. Historiquement, les scientifiques utilisaient exclusivement des critères morphologiques pour établir des relations entre les espèces. Des avancées en biologie moléculaire permettent maintenant d’étudier les relations de descendance en comparant l’ADN de différentes espèces.

Pour que la sélection naturelle fasse son œuvre, un trait doit être présent chez une partie des individus seulement, être héritable, c’est-à-dire qu’il doit être inscrit dans l’ADN et pouvoir se transmettre à la descendance, et, finalement, il doit donner un avantage de survie ou de reproduction aux individus qui le possèdent.

Les effets de la sélection naturelle sont particulièrement visibles lors de changements environnementaux : les espèces ne sont plus adaptées à leur milieu et leur survie diminue, sauf pour les individus qui, par hasard, possèdent un trait avantageux dans les nouvelles conditions. Ces derniers survivent et se reproduisent, ce qui fait évoluer l’espèce.

Des millions d’années ont été nécessaires pour que les premières baleines évoluent et développent les nombreuses adaptations physiologiques des baleines actuelles.

Il y a 50 millions d'années, des baleines terrestres

L’ancêtre des baleines actuelles, le premier cétacé, serait Pakicetus, un quadrupède de 1 à 2 mètres de long. Les squelettes, découverts au Pakistan, indiquent que l’animal possédait des chevilles typiques d’artiodactyle et un crâne typique de cétacé. Contrairement aux baleines d’aujourd’hui, cette espèce n’était pas aquatique et ses chevilles témoignent de ses talents de coureur. Elle est tout de même considérée comme un cétacé, notamment en raison de la morphologie de son oreille interne. La forme de ses dents laisse croire que Pakicetus était carnivore, comme les baleines actuelles.

Il y a 47 millions d'années, le retour à l'eau

Connaissez-vous le chevrotain aquatique? Cet herbivore d’environ 80 cm vit en Afrique. Sa particularité: il se réfugie dans l’eau pour échapper à ses prédateurs et peut y rester de 4 à 5 minutes! Le chevrotain aquatique se trouve être l’animal encore vivant le plus proche d’Indohyus, un lointain ancêtre des baleines.

Progressivement, les descendants des premiers cétacés terrestres se seraient de plus en plus tournés vers le milieu aquatique, dans certains cas pour s’y réfugier en cas de danger – tout comme le chevrotain aquatique de nos jours – ou alors pour y manger. Comme les artiodactyles actuels sont tous herbivores, des biologistes croient que les cétacés seraient apparus parce que certains herbivores de ce groupe auraient changé de diète pour devenir carnivores. Toutefois, cette thèse ne fait pas l’unanimité : certains scientifiques parlent plutôt d’un ancêtre omnivore.

Ambulocetus, une baleine quadrupède dont les pattes étaient probablement palmées, pouvait vraisemblablement marcher et nager et l’analyse de ses os révèle qu’elle pouvait vivre en eau douce et en eau salée. Son oreille interne était adaptée à la vie en milieu aquatique.

Il y a 42 millions d'années, voyage vers l'Amérique

À partir de la région indo-pakistanaise, les baleines ancestrales se sont ensuite déplacées pour éventuellement atteindre la répartition actuelle des baleines. Quel trajet ont-ils emprunté et à quel moment? Les archives fossiles peuvent permettre de répondre à cette question, mais elles sont pour le moment trop fragmentaires pour tracer une carte précise.

La découverte d’un fossile de baleine à quatre pattes au Pérou en 2011 a levé le voile sur une partie du voyage des cétacés. Cette baleine ancestrale appuie l’hypothèse d’une migration vers l’ouest avant une migration vers le nord, et ce, moins de 10 millions d’années après l’apparition des premières baleines dans la région indo-pakistanaise.

Il y a 34 millions d’années, les baleines modernes

Les espèces actuelles de baleines sont divisées en deux grands groupes : les odontocètes, ou baleines à dents, et les mysticètes, ou baleines à fanons. Leur ancêtre commun, qui aurait vécu il y a environ 34 millions d’années, ne possédait probablement pas de fanons et ne pouvait pas faire d’écholocalisation. En seulement 5 millions d’années, les espèces de baleines se sont diversifiées, probablement à cause des changements écologiques rapides des océans.

Il y a 15 millions d’années, une autre diversification rapide des espèces de cétacés s’est produite, alors que le refroidissement des océans modifiait les courants. À la même époque, le nombre d’espèces de mollusques et de crustacés, des proies de certaines baleines, augmentait aussi.

Il y a 4,5 millions d'années, les baleines deviennent des géantes

Les premiers mysticètes mesuraient de 5 à 9 mètres de longueur (environ la longueur actuelle d’un petit rorqual). Ce n’est qu’il y a 4,5 millions d’années qu’ils auraient atteint les dimensions qu’on leur connait aujourd’hui. La croissance soudaine des mysticètes coïncide avec le refroidissement du climat et la formation dans l’hémisphère nord de grandes calottes de glace. Au printemps et en été, les nutriments piégés dans les glaces sont libérés dans les eaux libres et s’amoncèlent près des côtes. Emporté par les courants, le plancton s’accumule dans ces zones et croît de façon significative au contact des eaux riches en matière nutritive. Jusque-là dispersé dans l’océan, le plancton commence à former des concentrations saisonnières, parfois séparées par des milliers de kilomètres.

Face à cette nouvelle dynamique, la taille devient un caractère soumis à une forte pression de sélection. Ainsi, les individus aux dimensions les plus généreuses, ayant plus de réserves, sont capables de voyager sur de plus longues distances et profitent de ces garde-mangers fraichement formés. Les plus petits, quant à eux, disparaissent progressivement et font place à l’ère des géants. Être plus grand que les autres comporte de nombreux avantages. Les géants sont plus enclins à se trouver au sommet de la chaine trophique et sont donc beaucoup moins sensibles à la prédation. En contrepartie, ils sont bien plus à risque d’extinction en temps de crise ou de changements environnementaux.

Et maintenant?

L’évolution des baleines se poursuit encore aujourd’hui. Les écosystèmes sont régulièrement modifiés et les interactions entre les espèces sont dynamiques. Il y a donc toujours nécessité de s’adapter aux conditions changeantes. Les baleines actuelles sont soumises à plusieurs pressions évolutives telles que les changements climatiques, la diminution de l’abondance des proies et la pollution des océans. Leur grande taille les rend particulièrement vulnérable au manque de nourriture.

Les baleines ont beaucoup gagné à perdre des gènes!

Plus grandes, plus grosses, meilleures plongeuses… les baleines passent souvent pour plus que les humains, mais c’est parfois la perte de gènes qui est à l’origine de leurs adaptations. Des gènes liés à l’alimentation, comme ceux responsables de la production de salive ou encore ceux qui codent pour la réabsorption du sodium par les reins, ont disparu parce qu’ils sont devenus inutiles aux baleines qui, sauf exceptions, vivent dans l’eau salée. Leur vie marine rend la lubrification de la nourriture inutile et les carences en sodium, pratiquement impossibles.

Le repos des baleines est pour sa part influencé par la perte du gène responsable de la production de mélatonine, cette fameuse hormone qui régule le cycle du sommeil. Cette adaptation serait liée au fait que les cétacés respirent de manière volontaire, et que sombrer dans un sommeil profond augmenterait les risques de noyade chez ces mammifères marins.

D’autres gènes utiles aux animaux terrestres, mais qui causent des problèmes en plongée à cause des pressions extrêmes que le corps y subit, ont disparu chez les cétacés. Des chercheurs ont notamment remarqué la disparition de gènes qui facilitent la coagulation du sang et de gènes associés à des fibroses et à d’autres problèmes pulmonaires chez certains humains. Un autre gène, qui rendait indirectement les risques de mutation dans l’ADN plus élevés pour les plongeurs réguliers, a lui aussi été effacé du bagage génétique des baleines.

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