Un texte de Sonia Villalon

Le suivi des populations de fous de Bassan (Morus bassanus) présente un intérêt majeur pour mieux connaitre les changements qui s’opèrent au menu des baleines dans le golfe du Saint-Laurent. Ce sont des oiseaux marins dotés d’une grande aire d’alimentation rejoignant celle de plusieurs espèces de baleines et d’un régime piscivore similaire à celui des cétacés (maquereau [50% de son alimentation], hareng [33%], capelan, lançon). Les fous de Bassan nous renseignent notamment sur l’abondance des proies et sur le degré de contamination de l’écosystème.

La composition changeante des masses d’eau entrant dans le golfe, les changements climatiques et la pollution entrainent des modifications importantes dans les communautés de proies. On sait que certaines espèces, comme la morue, ne tolèrent pas les seuils d’oxygène trop bas qui sont atteints ces dernières années dans les couches profondes de l’estuaire. D’autres, plus tolérantes, se concentrent dans les zones profondes pour éviter les prédateurs, comme certaines espèces de crevettes. Puisque les moyens techniques sont limités pour suivre les baleines sous l’eau, il est difficile de quantifier et de qualifier les éventuels changements dans leur alimentation ou la disponibilité de leurs proies. Les chercheurs procèdent donc à des analyses indirectes (comme celle des contenus stomacaux dans les carcasses ou des isotopes stables dans les muscles). L’étude d’autres espèces que les baleines fournit aussi à l’occasion de précieuses informations, comme le suivi des fous de Bassan.

Fous de Bassan dans l’estuaire : une bonne nouvelle?

Ces dernières années, les observations de fous de Bassan sont plus nombreuses qu’à la normale au cours de l’été dans l’estuaire du Saint-Laurent. Si les observateurs se délectent de leur ballet aérien, leur présence n’est pas forcément une bonne nouvelle. Les fous de Bassan se rassemblent en colonies dans le golfe pendant la période de reproduction estivale, limitant plutôt les observations dans l’estuaire aux individus non reproducteurs. Ce n’est qu’au courant du mois de septembre que le jeune commencera à voler pour apprendre les rudiments de la pêche et que les fous quitteront leurs sites de reproduction. Mais depuis 2010, les observateurs notent plus d’adultes matures durant l’été dans l’estuaire. Même que les chercheurs ont remarqué, grâce à la pose de balise GPS, que les fous de Bassan mature parcourent des distances inhabituelles (environ 500 km) depuis les sites de reproduction jusque dans l’estuaire ou ailleurs. Ils y cherchent la nourriture nécessaire à la survie de leurs jeunes, les laissant parfois plusieurs jours seuls au nid (jusqu’à 40 heures).

C’est la raréfaction du maquereau (Scomber scombrus) dans le golfe qui les forcerait à parcourir d’aussi grandes distances (Chardine et al, 2013). Ce poisson très gras est une composante essentielle de l’alimentation des jeunes. La cause de la raréfaction viendrait du fait que l’eau se réchauffe dans l’Atlantique Nord : le maquereau n’aurait d’autres choix que de vivre dans les eaux plus profondes ou de migrer plus au nord, pour se maintenir dans une eau suffisamment froide.

Seulement voilà, les fous de Bassan s’alimentent en piquant dans l’eau comme des fusées et s’immergent sous l’eau jusqu’à 20 mètres de profondeur, ce qui n’est pas suffisamment creux pour rejoindre leurs proies préférées. Ils se voient donc contraints de faire de plus grandes distances pour trouver leur nourriture et même parfois de troquer des maquereaux ou des harengs contre des proies moins intéressantes d’un point de vue énergétique, comme les lançons. Conséquence directe de ce phénomène, les chercheurs notent une baisse importante du taux de survie des jeunes (Rail et al, 2013) et le départ précoce des colonies par les adultes.

Le fou de Bassan a donc été choisi comme espèce bio-indicatrice dans le cadre du plan d’action Saint-Laurent de 2011 à 2016. Ce plan a été mis en place pour suivre l’état de santé du Saint-Laurent par quatre partenaires gouvernementaux — le ministère de l’Environnement du Canada, le ministère des Pêches et Océans du Canada, l’agence Parcs Canada et le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec — et Stratégies Saint-Laurent, un organisme non gouvernemental actif auprès des collectivités riveraines. Les informations recueillies seront donc bien précieuses à la compréhension et à la conservation des populations de mammifères marins qui s’alimentent dans ce secteur des mêmes poissons.

Un fou de Bassan plonge à pic pour se nourrir. © Olivier Barden
Un fou de Bassan plonge à pic pour se nourrir. © Olivier Barden
Un fou de Bassan plonge à pic pour se nourrir. © Olivier Barden
Un fou de Bassan plonge à pic pour se nourrir. © Olivier Barden

Sources

  • David Allen Sibley, mars 2014. The Sibley Guide to Birds – Second Edition, page 95.
  • D.G. Gaudet; A. Richard, 2014. Les oiseaux des Îles-de-la-Madeleine : leur statut, leur abondance. Liste annotée des oiseaux des Îles-de-la-Madeleine.
  • Garthe et al, 2007. Contrasting foraging tactics by northern gannets (Sula bassana) breeding in different oceanographic domains with different prey fields. Springer-Verlag 2006.
  • Gilles Chapdelaine & Jean-François Rail, 2014. Direction de la conservation de l’environnement, Environnement Canada. ISBN 978-0-660-21433-7.
  • J.W. Chardine et al, 2013. Population dynamics of Northern Gannets in North America, 1984–2009. Avian behaviour and ecology, Volume 84, Issue 2, Pages 187–192.
  • Lesage, V. 2014. Trends in the trophic ecology of St. Lawrence beluga (Delphinapterus leucas) over the period 1988-2012, based on stable isotope analysis. DFO Can. Sci. Advis. Sec. Res. Doc. 2013/126. iv + 25 p.
Actualité - 14/8/2017

Collaboration Spéciale

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