Par René Roy
Depuis plusieurs années, j’effectue des sorties en mer dans le Saint-Laurent dans le but d’observer les mammifères marins. Collaborateur de la station de recherche des iles Mingan (MICS), je transmets mes observations – de grands rorquals en particulier – aux scientifiques, ce qui permet de colliger des données de photo-identification et de comportement. Je ne suis pas moi-même un scientifique, et mes commentaires et réflexions sont principalement basés sur mes observations de terrain. Je complète aussi cette acquisition de connaissances en science marine avec des lectures et des échanges avec les scientifiques et autres collaborateurs du domaine. C’est fort de cette expérience que je puisse souligner que cette saison 2021 était particulière au niveau des grands rorquals : voici le bilan de mes observations.
Un terrain connu
Cette saison, j’ai fait 29 sorties d’une moyenne de 8 heures/jour. J’ai parcouru 2131 milles nautiques (près de 4000 km) avec une moyenne de 75 milles nautiques (140 km) par jour.
Treize de ces sorties ont eu lieu au large de la péninsule gaspésienne, où j’ai couvert les secteurs de Percé jusqu’à Cloridorme. Les seize autres sorties ont eu lieu dans l’estuaire maritime, de Les Méchins jusqu’au parc marin du Saguenay – Saint-Laurent, du sud au nord à plusieurs reprises… le même terrain parcouru depuis mes débuts dans cette activité! Je parcours toujours ces secteurs en fonction des mouvements migratoires des baleines.
Une constance depuis quelques années, dont cette saison, a été d’observer dans les secteurs couverts des bancs de globicéphales seulement en mai, et des dauphins à flancs blancs à partir de la mi-août. Fin juin cette année, j’ai pu observer une migration d’une centaine de bélugas au large de Matane, entrant dans l’estuaire.
J’ai documenté durant ces sorties 83 individus rorqual à bosse différents, environ 80 individus rorqual commun et seulement 7 rorquals bleus. Ce sont ces chiffres qui font la spécificité de cette dernière saison, particulièrement pour les rorquals à bosse et les rorquals bleus.
Une saison inhabituelle en chiffres
En résumé, voici le nombre de rorquals que j’ai observés ces 5 dernières années :
En 2017 (20jrs en mer): observé 17 rorquals à bosse et 24 rorquals bleus
En 2018 (28jrs en mer): observé 25 bosses et 63 bleus
En 2019 (25jrs en mer): observé 99 bosses et 66 bleus
En 2020 (12jrs en mer): observé 3 bosses et 25 bleus (Pandémie, pas de sortie en Gaspésie et haut estuaire)
En 2021 (29jrs en mer): observé 83 bosses et 7 bleus (Effort particulier dans des secteurs des rorquals bleus)
Les rorquals à bosse en augmentation
Je constate, comme plusieurs, une augmentation constante de rorquals à bosse depuis les 3-4 dernières années : augmentation de nouveaux venus, de plus jeunes animaux et, dans une moindre mesure, d’individus qui sont habituellement observés dans le golfe du Maine.
Les animaux de cette année étaient très peu dispersés, je les ai presque tous observés parmi de grands groupes d’individus, des agrégations d’une trentaine en moyenne en Gaspésie (entre 6 et 12 milles au large) et dans l’estuaire. Parmi ces agrégations, il y a eu celle que j’ai observée dans le parc marin qui a été la plus constante et dont les animaux étaient très actifs. Je me suis beaucoup questionné sur cette hyperactivité qui m’a semblé significative par rapport aux autres regroupements et aux animaux observés en aval du parc. Serait-ce le dérangement qui provoque une telle agitation?
Sur les 83 rorquals à bosse observés, j’ai 23 individus non identifiés et non catalogués pour l’instant (probablement des nouveaux du secteur) parmi lesquels 6 baleineaux de l’année. Étonnamment, 51 de ces individus ont aussi été observés plus tard dans le parc marin cette saison. C’est dire que le parc marin a attiré beaucoup de rorquals à bosse cette année! Y compris la majorité de ceux que j’ai observés ailleurs dans l’est de l’estuaire et la partie gaspésienne du golfe.
Cette augmentation des observations est de très bon augure pour cette espèce. Ces agrégations de rorquals en des endroits très précis, riches en nutriments, font cependant craindre pour la dispersion de la nourriture. Tous les rorquals à bosse que j’ai vus déféquer cette saison avaient mangé du poisson. En aucune occasion je n’ai observé des fèces de couleur rouge, comme lorsqu’ils mangent du krill.
Des rorquals bleus très furtifs
Le peu de rorquals bleus (7 individus seulement!) que j’ai documentés cette année sur les secteurs que je couvre régulièrement est, à mon point de vue, très inquiétant et pourrait être expliqué par le manque de krill, dont ils se nourrissent exclusivement.
Les quelques individus observés avaient tous un comportement très furtif, étaient en déplacement et semblaient chercher quelque chose qu’ils ne trouvaient pas en effectuant de longues plongées (14 minutes) dont ils ressortaient très loin. J’ai observé 4 de ces individus bien au large dans le détroit d’Honguedo, et 3 mâles furtifs au large de l’ile du Bic, et ceux-ci n’ont pas été revus par la suite.
Contrairement aux 20 dernières années, je n’ai cette année fait aucune observation de rorqual bleu dans le secteur est de l’estuaire, entre Matane et Pointe-des-Monts, zone où j’observe d’habitude entre 20 et 40 rorquals bleus chaque année.
En conclusion, l’été 2021 a constitué une saison tout à fait inhabituelle d’observation de grands rorquals. Le manque de dispersion des rorquals à bosse et des rorquals communs serait-il symptomatique d’une faible quantité de nourriture dans le golfe et l’estuaire?
Où étaient les rorquals bleus et où était le krill dont ils se nourrissent?
Sur ces grandes questions, je remercie les lecteurs pour l’intérêt qu’ils portent à ces magnifiques animaux.
À la prochaine saison!