Un narval qui évolue parmi les bélugas, des rorquals à bosse sans matricule et des petits rorquals en quête de reconnaissance. Cette semaine, les baleines du Saint-Laurent nous interrogent sur la notion d’identité.
À l’heure où les humains doivent prouver leur identité à l’aide d’un code QR code pour entrer dans un bar ou un restaurant, les baleines à bosse, elles, exhibent sans pudeur leur «carte d’identité». Lorsqu’elle plonge, cette géante aux longues pectorales dresse généralement la queue en l’air quelques secondes… laissant juste le temps pour les observateurs chevronnés de la prendre en photo et de l’identifier grâce au patron de coloration unique présent sous sa nageoire caudale. Depuis quelques décennies, les chercheurs de la station de recherche des iles Mingan (MICS) recensent les baleines à bosse observées dans le Saint-Laurent. Le catalogue ainsi constitué comporte plusieurs centaines d’individus différents, dont certains possèdent un nom officiel et d’autres sont seulement référencés sous forme de code alphanumérique.
Bonjour, bel inconnu!
Cette semaine, dans le parc marin du Saguenay – Saint-Laurent, on a pu rencontrer Tic Tac Toe, Siam, Chewbacca, Cédille, Le Souffleur, mais aussi H847, H915, H916 ou encore H932. Mais fait étonnant, au milieu de ces caudales connues, on a aussi vu arriver un grand nombre d’individus «inconnus». Ces animaux – au nombre d’une dizaine à ce stade de la saison – ne semblent «matcher» avec aucune entrée au catalogue.
Même phénomène au large de Gaspé, où les rorquals à bosse sont toujours présents en grande quantité – de 2 à 6 individus selon les jours. Outre quelques petits rorquals, la vision fugitive le 29 août d’un rorqual commun et une bande de 20 marsouins, les autres espèces se font rares. Comme dans l’estuaire, nos observateurs sur place aperçoivent beaucoup d’individus non répertoriés au catalogue et s’interrogent: «D’où viennent tous ces nouveaux animaux, dont la plupart, bien que petits, semblent être déjà adultes?» La réponse est probablement liée au rétablissement mondial de la population de cette espèce, à l’immensité du terrain de jeu de la population de l’Atlantique, mais peut-être aussi à l’effort de recensement des nouveaux individus qui a été moindre l’année dernière à cause de la Covid-19. Quelle que soit la raison de leur présence en masse, les rorquals à bosse font vibrer le Saint-Laurent de leurs cabrioles.
Cette semaine, les deux «hot spots» pour les observations sont définitivement la région de Sept-Îles et le parc marin. Un employé de la station radar des Escoumins s’enthousiasme: «Mercredi, c’était une journée absolument incroyable, définitivement la meilleure côté observations depuis 3 ans! C’est du jamais vu pour moi un aussi beau spectacle. J’ai ainsi pu observer 13 rorquals à bosse, dont un breach juste devant les rochers, 10 petits rorquals, 7 rorquals communs, 4 bélugas et un phoque gris.»
Entre Sept-Îles et Port-Cartier, le cétologue amateur Jacques Gélineau mentionne «7 rorquals bleus dont une paire mère-veau, 10 communs, 3 bosses, des dauphins à flancs blancs, des dauphins à nez blanc, des marsouins… on a vu presque toutes les espèces possibles en une sortie!»
C’est plus calme dans l’archipel de Mingan, même si l’ile du Wreck est couverte d’un millier de phoques et qu’on y croise quand même une poignée de petits et de grands rorquals.
Le narval et ses bélugas
Par leurs déplacements, nos amis les bélugas annoncent l’automne. Ils sont de moins en moins présents sur la rive sud au profit des phoques communs et des marsouins communs. À Cacouna comme à Kamouraska, seuls quelques bélugas en déplacement sont observés chaque jour. À Rivière-du-Loup, où une dizaine de dos blancs sont observés quotidiennement, une observatrice s’amuse de voir un groupe en plein repos: «Ils n’étaient pas en déplacement, ni en alimentation. Toute la petite gang était très calme et bougeaient très peu. C’est assez rare ici de les voir aussi chill.»
De large troupeaux de baleines blanches s’étalent par contre dans les eaux qui bordent Tadoussac et Bergeronnes, et de petits groupes comprenant des jeunes transitent plusieurs fois par semaine dans le fjord du Saguenay. Comme ce vendredi, où un gros dos blanc et deux petits dos gris ont surpris des kayakistes partis de l’Anse-de-Roche. Au centre d’interprétation et d’observation de Pointe-Noire, à Baie-Sainte-Catherine, une naturaliste s’enthousiasme pour deux petits veaux de l’année nageant à 30 mètres de la rive. «Ils avaient encore leurs plis fœtaux, signe qu’ils étaient nés il y a peu!» s’exclame-t-elle.
Le narval, lui, a été revu mercredi dernier pas très loin de l’embouchure du Saguenay, en compagnie d’un groupe de bélugas blancs. Sa «gang» semble composée de jeunes mâles, probablement des animaux d’âge similaire au sien. Cependant, les individus qui l’accompagnent ne sont pas toujours les mêmes : les associations se font et se défont dans les groupes de juvéniles. Pendant le mois d’août, cet étranger venu d’Arctique a même été observé par les équipes de parc Canada dans la baie Sainte-Marguerite. Toujours en compagnie d’adultes et de juvéniles. La présence de ce dos gris moucheté au milieu des dos blancs déclenche systématiquement des cris de joie. L’originalité a parfois du bon!
Petits rorquals anonymes
Que ce soit le long des quais à Baie-Comeau ou près des plages des iles de la Madeleine, les petits rorquals sont très actifs dernièrement. «J’en ai observé deux chassant ensemble, raconte un Madelinot. Chose remarquable, mais non sans danger, ils rabattent les bancs de poissons vers les cordages des cages à bigorneau; ces cordages agissent comme une barrière pour les poissons, ce qui rend plus facile de les rassembler pour les attraper.»
Chaque jour ou presque, un ou plusieurs petits rorquals viennent aussi s’alimenter devant le CIMM à Tadoussac, impressionnant les visiteurs par leurs acrobaties. Qui sont ces individus ? On sait bien peu de choses sur les petits rorquals du Saint-Laurent, sinon qu’ils sont très nombreux et que ce sont majoritairement des femelles qui viennent l’été dans l’estuaire. Heureusement, l’équipe du Mériscope, une station de recherche basée à Portneuf-sur-Mer et qui se consacre en grande partie au suivi des petits rorquals, est actuellement sur l’eau pour tenter d’identifier les individus grâce à leur dorsale et à leurs cicatrices.
Malheureusement, et c’est peut-être un peu injuste, certaines espèces font l’objet de plus d’effort de recensement et d’identification que d’autres (petits rorquals, marsouins, globicéphales font partie des oubliés). Pourtant, on n’en doute pas, chaque cétacé du Saint-Laurent a une vie pleine d’aventures à raconter.
Où sont les baleines cette semaine? La carte des observations
Ces données ont été rapportées par notre réseau d’observatrices et observateurs. Elles donnent une idée de la présence des baleines et ne représentent pas du tout la répartition réelle des baleines dans le Saint-Laurent. À utiliser pour le plaisir!
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