Connaissez-vous le paradoxe de Peto? Ce dernier stipule que la probabilité de développer un cancer n’est pas corrélée avec le nombre de cellules d’un organisme. La baleine boréale est une candidate exemplaire pour démontrer ce paradoxe. En effet, elle est le second animal le plus grand au monde et pèse jusqu’à 80 000 kg, soit l’équivalent d’environ 15 éléphants mâles d’Asie. C’est aussi le mammifère qui a la plus longue espérance de vie: elle peut atteindre plus de 200 ans!
Lorsque les cellules dégénèrent, que faire?
Le cancer est un terme parapluie comprenant plusieurs maladies ayant en commun la division incontrôlable de cellules anormales qui peuvent s’agglomérer pour devenir des tumeurs et même se propager à des tissus environnants. Ceci peut survenir lorsque l’ADN est endommagé par des facteurs externes tels que les rayons UV ou encore suite à une erreur de réplication. Le corps a des mécanismes pour corriger ces erreurs et réparer les brins d’ADN endommagés. Cependant, il arrive que certaines imperfections passent inaperçues ou que le dommage soit trop important. Considérant la quantité astronomique de cellules composant son corps gigantesque, il serait en effet attendu que la baleine boréale soit plus susceptible de développer des cancers au cours de sa longue vie. Ce n’est pourtant pas le cas. Il en va de même pour l’éléphant, un autre géant du règne animal. Comment se fait-il que ces animaux colossaux semblent bénéficier d’une protection contre le cancer, une des principales causes de mortalité humaine? La clé de ce mystère semble se cacher dans leur ADN.
L’éléphant: défendre en attaquant
L’éléphant a 20 fois plus de copies d’un gène suppresseur de tumeur que l’humain, appelé TP53. La protéine p53, produite par ce gène, prévient la formation de cancers soit en favorisant la réparation de l’ADN, soit en induisant l’autodestruction des cellules défectueuses. Puisque l’éléphant possède un arsenal de ce gène, l’impact est minime lorsqu’une copie cesse de fonctionner, contrairement aux humains qui se retrouvent presque sans défense. Leurs cellules sont aussi particulièrement sensibles aux dommages. À la moindre mutation de l’ADN, la cellule s’autodétruit, ne laissant pas le temps à un cancer de se développer. Une forte élimination de cellules diminue le risque de développer un cancer, mais peut accélérer les effets du vieillissement.
La baleine boréale: vaut mieux prévenir que guérir!
La baleine boréale, elle, a développé un autre mécanisme de protection contre le cancer qui mise sur une réparation plus parfaite de l’ADN. Ceci limite la quantité de mutations pouvant se former dès le départ, ne nécessitant alors pas la destruction massive de cellules défectueuses comme chez l’éléphant. Une variation de CIRBP et une abondance de RPA2, toutes deux des protéines, contribueraient à cette précision accrue chez la baleine boréale. Les mutations permettent cependant d’avoir plus de diversité au sein des populations, ce qui leur confère une certaine résistance génétique. Ainsi, une réplication très efficace de l’ADN limite aussi la quantité de mutations qui pourraient être avantageuses et ralentit leur taux d’évolution. L’océan étant un environnement stable, il y a eu peu de pression évolutive poussant les baleines à développer de nouveaux traits suite à l’adaptation de leur ancêtre à la vie marine. Ceci était vrai dans le passé, mais avec les changements globaux, une question se pose : est-ce que les espèces auront le temps de s’adapter à ces changements drastiques? Qu’en sera-t-il des baleines?