Depuis novembre 2018, 87 bélugas et 11 épaulards sont gardés captifs illégalement dans une «prison pour baleines», au large de Nakhodka, sur la côte est de la Russie. La publication d’images de baleines entassées dans les enclos et entourées de glaces a suscité l’indignation du public et de groupes de défense des droits des animaux.

En avril, le gouvernement russe a signé un accord visant à libérer les baleines captives avec la collaboration du Whale Sanctuary Project, un organisme étatsunien militant pour la fin de la tenue en aquarium de cétacés. Le sauvetage devrait commencer sous peu, mais «ce n’est que le début d’un travail qui va peut-être prendre des années éventuellement», explique l’océanographe Jean-Michel Cousteau, en entrevue avec Radio-Canada.

Pourquoi les baleines ont-elles été capturées ?

La capture de mammifères marins sauvages est autorisée en Russie, mais seulement à des fins scientifiques ou éducatives. La Russie est le seul pays où la capture de bélugas est encore autorisée. Au Canada, la capture de bélugas pour l’exportation est interdite depuis 1992. Les quatre compagnies russes responsables auraient obtenu des permis. Toutefois, les bélugas et épaulards capturés devaient être vendus à des aquariums chinois, à des fins récréatives, ce qui contrevient à la loi. De plus, plusieurs veaux bélugas auraient été capturés, ce qui est aussi illégal, même en possession d’un permis. Ces mêmes compagnies auraient déjà exporté 13 baleines vers la Chine en 2013 et 2016. Le marché des parcs d’attractions marins est en croissance en Asie. Il y aurait au moins 76 delphinariums en Chine, deux fois plus qu’il y a trois ans.

Comment les baleines se portent-elles?

Une équipe de scientifiques dirigée par l’océanographe Jean-Michel Cousteau a visité les enclos des bélugas et épaulards afin d’évaluer leurs conditions de vie, leur santé ainsi que la possibilité de les relâcher. Ils ont observé que les individus n’ont pas assez d’espace. La plupart des individus avaient des lésions de peau ou de bouche qui pourraient indiquer la présence d’autres problèmes de santé. De plus, l’installation ne comporte pas d’enclos de quarantaine pour éviter la propagation d’infections.

Les températures sont si basses à cette période de l’année que les gardiens doivent régulièrement casser les glaces qui s’accumulent dans les enclos pour permettre aux baleines de respirer à la surface. Puisque les épaulards migrent vers le sud pendant la saison hivernale, ils ne sont pas adaptés à de telles températures. Pour ce qui est des bélugas, ils ne sont probablement pas suffisamment actifs dans leur petit enclos pour conserver une température corporelle optimale.

Pourquoi est-ce si long avant de libérer les baleines ?

Même si on souhaitait voir le démantèlement de la «prison» le plus rapidement possible, ouvrir les portes des enclos mènerait les baleines vers une mort certaine : l’eau est recouverte de glace, la nourriture est peu abondante, plusieurs individus sont mal en point et le groupe comprend plusieurs jeunes bélugas, qui n’ont jamais vécu seuls dans la nature.

Mais il y a une bonne nouvelle : selon l’équipe d’experts, tous les individus pourraient éventuellement être réhabilités et libérés. Le fait que les baleines soient captives depuis quelques mois seulement et qu’elles n’aient pas été entrainées devrait faciliter leur réinsertion dans la nature.

Idéalement, chaque individu devrait être retourné à l’endroit où il a été capturé pour qu’il puisse s’intégrer dans son ancien groupe. Les baleines proviennent de la mer d’Okhotsk, présentement recouverte de glace, et c’est pourquoi l’opération ne pourra commencer avant juin. En attendant, chaque baleine sera examinée pour établir un plan de rétablissement individuel.

Pour les individus en mauvaise santé et pour ceux qui sont trop acclimatés à la présence des humains, un sanctuaire de baleines pourrait être envisagé. Il s’agit d’un grand espace cloisonné en milieu côtier dans lequel les mammifères marins peuvent vivre comme dans la nature, mais sans les dangers de la prédation. Une équipe s’assure du bien-être des animaux, qui ont parfois perdu le réflexe de s’alimenter par eux-mêmes.

Des accusations d’extraction illégale de ressources biologiques ont été portées contre les quatre compagnies impliquées. En décembre, une enquête a aussi été ouverte pour cruauté animale.

Actualité - 8/5/2019

Jeanne Picher-Labrie

Jeanne Picher-Labrie a rejoint l’équipe du GREMM en 2019 comme rédactrice à Baleines en direct et naturaliste au Centre d’interprétation des mammifères marins. Baccalauréat en biologie et formation en journalisme scientifique en poche, elle est de retour en 2021 pour raconter de nouvelles histoires de baleines. En se plongeant dans les études scientifiques, elle tente d’en apprendre toujours plus sur la mystérieuse vie des cétacés.

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