Surprenant cétacé, le petit rorqual est une baleine qui s’adapte bien aux changements en capitalisant sur les proies les plus abondantes dans son milieu. Une nouvelle étude nous indique que le golfe du Saint-Laurent serait utilisé par cette espèce comme aire d’alimentation avant de donner naissance.
En recherche sur les mammifères marins, le petit rorqual, une baleine dynamique et vive, est souvent mise de côté. Alors que l’espèce est encore chassée de façon commerciale ailleurs dans le monde, peu d’études et de données existent à son sujet! C’est principalement pour cela que la taille des différentes populations et les impacts des changements environnementaux sur cette espèce sont encore peu compris.
Une toute nouvelle étude a été faite pour justement mieux comprendre comment cette espèce subit les pressions dans son écosystème. Les scientifiques ont analysé les changements des taux de grossesses et de ségrégation sexuelle des petits rorquals en fonction des changements environnementaux dans le golfe. Entre 2007 et 2015, ils ont récolté des échantillons de gras, effectué des analyses génétiques pour mesurer le ratio sexuel, et dressé le profil endocrinien – le bilan hormonal – des petits rorquals étudiés en plus de prendre des données environnementales.
Le golfe est femelle
L’étude a pu confirmer que les petits rorquals qui viennent dans le Saint-Laurent sont principalement des femelles. En effet, 162 des 193 échantillons de lard récoltés, soit 88,2%, entre 2007 et 2015 provenaient d’individus femelles!
De plus, le taux de femelles gestantes était toujours supérieur aux femelles non gestantes dans le golfe du Saint-Laurent avec un taux d’une moyenne de 74,2% durant la période d’étude, variant de 60% à 88,9% selon les années. En comparaison, d’autres espèces de rorquals ont des taux de grossesse bien plus bas. Selon une étude dont les données datent de 2004 à 2018, 36,7% des rorquals bleus qui visitent le golfe du Saint-Laurent sont des femelles gestantes.
Où sont les veaux ?
Autre fait saillant qui ressort de cette étude : parmi les quelque 200 petits rorquals qui utilisent le golfe chaque année, seulement un veau a été observé par les scientifiques alors même que ce territoire est majoritairement fréquenté par les femelles! Il existe donc une ségrégation entre les femelles gestantes dans le golfe et les femelles non-gestantes, les mâles, les individus immatures et les femelles qui allaitent.
Des hypothèses pour cette ségrégation? Les femelles gestantes pourraient vouloir éviter la prédation ou sélectionner ce lieu d’alimentation car leurs besoins sociaux et écologiques sont différents puisqu’elles doivent accumuler plus de nutriments. Cette ségrégation spatiale reproductive et sexuelle signifie que le golfe est fort probablement utilisé comme aire d’alimentation avant de donner naissance.
Des généralistes bien adaptés aux changements
Le golfe du Saint-Laurent est un terrain d’alimentation privilégié par les petits rorquals. Néanmoins, ses eaux ont subi de grands chamboulements dûs à la surpêche et aux changements climatiques. L’augmentation de la température de l’eau et la diminution des grands poissons prédateurs comme la morue, ont provoqué des changements dans le réseau trophique – réseau qui se compose des différentes chaines alimentaires. Le territoire est aujourd’hui dominé par des petits poissons comme le hareng et le lançon. L’abondance des proies a varié sur la période d’études avec, notamment, le lançon qui a subi de lourds changements dans son abondance.
Sachant que la diète du petit rorqual se compose en grande partie de lançon, ainsi que de capelan et de hareng, l’on pourrait s’attendre à ce que les années de plus faible abondance soient suivies d’années avec moins de femelles gestantes. En effet, cela s’avère être vrai chez d’autres espèces. Des études ont démontré que le succès reproducteur des rorquals à bosse serait influencé par les changements dans l’abondance des harengs. Les scientifiques n’ont pas établi de lien concret entre la probabilité des femelles petits rorquals d’être gestantes et l’abondance ou non de proies l’année précédente!
Une petite baleine résiliente
Malgré les pressions présentes dans leur environnement, les petits rorquals du golfe du Saint-Laurent ne subiraient peu d’impacts importants sur leur taux de grossesse. Contrairement à d’autres cétacés, la plus petite des grandes baleines du Saint-Laurent démontre une résilience et une plasticité comportementale – sa capacité d’adaptation à son environnement – qui répondent bien aux fluctuations annuelles dans l’abondance des proies. De véritables généralistes, les petits rorquals sont capables de se tourner vers d’autres proies lors de changements d’abondance afin de répondre au coût énergétique de la grossesse et de l’allaitement.
Le petit rorqual sur le devant de la scène
Les auteurs et autrices de cette étude nous présentent quand même les limites de leur recherche. Puisque aucune photo-identification n’a été effectuée lors de la prise des échantillons, il y a une possibilité que les mêmes individus aient été échantillonnées. De plus, la stabilité de ce haut taux de reproduction ne veut pas dire que les fœtus arrivent à terme. Il est nécessaire de comptabiliser le nombre de veaux présents chaque année. Il est grand temps de plus se pencher sur ce cétacé trop souvent ignoré dans le Saint-Laurent!