Plusieurs milliers d’oiseaux marins, des poissons, une centaine de phoques, au moins 10 bélugas et plusieurs marsouins communs ont été signalés morts. Ce phénomène naturel d’une ampleur exceptionnelle a été documenté par une grande enquête menée par les partenaires du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins et des experts additionnels. Conclusion : une floraison d’algues toxiques, aussi appelée marée rouge, a causé la plupart de ces mortalités.
Les causes
Pourquoi une telle floraison ? : L’algue en cause est Alexandrium tamarense, un unicellulaire dinoflagellé, naturellement présent dans l’écosystème du Saint-Laurent. Les pluies abondantes de l’été, en abaissant la salinité et en élevant la température des eaux de surface, ont entrainé cette floraison spectaculaire à l’embouchure du Saguenay. Des vents faibles en direction de la Côte-Nord ont favorisé l’aggrégation de ces micro-organismes. Le vent ayant ensuite changé de direction, la nappe s’est déplacée vers le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie. Elle aurait finalement dérivé dans le golfe, où elle se serait morcelée et dissipée en raison des vents forts.
Comment coincer le suspect no 1 ? : A. tamarense produit des neurotoxines paralysantes qui peuvent entraîner la mort en bloquant les muscles respiratoires. Ces toxines se concentrent dans la chair des mollusques, dans le système digestif et dans le foie des poissons. Pour faire le lien entre les mortalités de poissons, d’oiseaux, de mammifères marins et l’ingestion de ces toxines, il a fallu une enquête sans précédents.
+ La structure du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins a facilité le signalement et la récupération des carcasses.
+ Les carcasses fraîches étaient acheminées à Saint-Hyacinthe pour un examen complet.
+ Des échantillons des carcasses ont été testés dans deux laboratoires pour la présence des toxines.
+ Des survols en hélicoptère et l’échantillonnage des eaux ont permis de suivre la nappe d’algues.
+ D’autres survols ont révélé l’ampleur des mortalités d’oiseaux marins.
Des réunions téléphoniques tous les deux jours ont servi à mettre à jour les informations et les stratégies à privilégier pour documenter le phénomène, pour communiquer avec le public et pour s’assurer de la santé publique.
Le fardeau de la preuve était écrasant : l’absence d’autres causes de mortalité possibles chez la plupart des spécimens examinés, la détection de la toxine, la synchronisation spatiale et temporelle entre les mortalités et le déplacement de la nappe, les symptômes neurologiques chez certains animaux vivants et le fait que les espèces touchées mangeaient toutes du poisson, lui-même affecté par les toxines.
Les impacts
L’ampleur des mortalités a certainement été sous-estimée, car beaucoup d’animaux seront morts en mer sans qu’on les retrouve. La situation est particulièrement préoccupante pour le béluga.
Les bélugas ont eu chaud… Au moins 10 bélugas du Saint-Laurent sont morts pendant le mois d’août 2008, comparé à une moyenne mensuelle de 2,7 depuis 1983. Il s’agit d’une population fragile, qui ne montre pas de signes de rétablissement même si elle est protégée de la chasse depuis 30 ans. Les épidémies ou autres incidents entraînant des mortalités massives sont particulièrement problématiques pour les espèces en péril, qui ont peu de «marge de manœuvre». Dans le cas de la marée rouge 2008, plusieurs femelles et des nouveaux-nés sont morts. Quel sera l’impact à long terme sur cette population ?
Et la santé humaine ? La baignade, la navigation et la consommation de la chair des poissons et des oiseaux ne posaient aucun problème. Pour éviter l’exposition aux toxines, Pêches et Océans Canada a fermé pendant l’épisode tous les secteurs coquilliers de l’estuaire du Saint-Laurent. On recommandait aussi de ne pas manger les abats et les viscères des poissons et oiseaux. Les produits trouvés en poissonnerie étaient tout à fait sûrs, car récoltés en dehors des zones touchées.
Et l’avenir ?
Il s’agit d’un phénomène millénaire et naturel. Cependant, partout dans le monde et dans différents écosystèmes, on rapporte de plus en plus d’épisodes de floraison d’algues toxiques. Ce ne serait pas simplement parce que les gens y sont plus sensibles. L’eutrophisation, le transport des algues dans les eaux de lest des navires et les changements climatiques pourraient expliquer cette croissance, à divers degrés selon les sites et les espèces. Dans le Saint-Laurent, A. tamarense fait l’objet d’un suivi parce qu’elle affecte la consommabilité des coquillages. Il ne semble pas que l’activité humaine influence directement cette espèce dans nos eaux. L’épisode de 2008 est exceptionnel par son ampleur et aurait été rendu possible par un concours de circonstances ayant peu de chances de se reproduire : pluies très abondantes suivies d’une période de vents faibles dans la direction inverse aux vents dominants, et ce, au cœur d’un habitat de première importance pour de nombreuses espèces. Des experts du regroupement Québec-Océan travaillent à un modèle pour prévoir les épisodes de floraison importante d’A. tamarense. Le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins est également un outil pour sonner l’alerte en détectant en temps réel les niveaux anormalement élevés de mortalité. Aucune mesure ne peut être prise pour prévenir les incidents d’origine naturelle. Par contre, tous les efforts consentis pour réduire les impacts des activités humaines sur cet écosystème riche et fragile peuvent l’aider à « absorber » un choc de cette ampleur.
L’équipe de la « marée rouge » 2008
Un regroupement d’experts travaillant pour des organisations partenaires du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins, en particulier Pêches et Océans Canada, Parcs Canada, la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins et l’Institut national d’écotoxicologie du Saint-Laurent, auquel se sont joints Environnement Canada, l’Agence canadienne d’inspection des aliments, le ministère des Ressources Naturelles et de la Faune du Québec et l’Institut des biosciences marines du CNRC à Halifax.
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