Le samedi 17 septembre, il fait beau et les coureurs de la course du Béluga Ultra Trail ont déjà entamé les 45 km qui séparent le point de départ à Baie-Sainte-Marguerite du point d’arrivée à Tadoussac. Plus qu’un simple jogging compétitif, cette course a comme mission de sensibiliser le public à la cause du béluga du Saint Laurent, ces dos blancs en voie de disparition. À la fin de l’événement, un béluga sera « adopté » collectivement avec les fonds récoltés afin de financer les activités de recherche du GREMM auprès de cette espèce en péril.
Il est 9h, je reprends mon poste à la centrale d’urgence à Tadoussac. J’appelle l’Institut Maurice-Lamontagne, un des centres de recherche de Pêches et Océans Canada situé à Mont-Joli. C’est lui qui prend le relais des appels pendant la nuit. Premier message : « Oui, un béluga mort à Rimouski…! ». Le signalement a été fait à 8h15 ce matin. Je demande les informations fournies par le témoin et je m’empresse de la contacter. Celle-ci retourne sur les lieux de l’observation pour prendre des photos et suivre les déplacements de la carcasse qui vacille avec le flot des vagues sur les roches. Une fois que nous avons la confirmation de l’espèce et de son accessibilité, un plan d’action est mis en marche. L’équipe d’intervention de la Rive-Sud, qui se trouve déjà à Rimouski, est contactée pour récupérer la baleine. Nos partenaires de recherche sont informés et l’équipe du Centre québécois de la santé pour les animaux sauvages (CQSAS) est avisée qu’une tentative de récupération sera effectuée. Ce sont eux qui feront la nécropsie sur le béluga et ils doivent être prêts à recevoir la carcasse à la Faculté de médecine vétérinaire (FMV) de Saint-Hyacinthe.
L’équipe d’intervention arrive sur place à 10h00 et les premiers éléments sont transmis à la centrale d’urgence. C’est un mâle adulte de 4,2 mètres. Des marques distinctives présentes entre le melon et l’évent de l’animal éveillent des curiosités. Cet individu pourrait être «connu», c’est-à-dire que si cette baleine a déjà été photographiée par l’équipe de recherche, on pourrait l’apparier à un individu qui a déjà un nom et un numéro. Cette pratique permet de garder un registre des évènements dans la vie de l’animal et d’effectuer un suivi rigoureux auprès des membres de cette population fragile. L’équipe procède à une documentation exhaustive de l’animal : prise de biopsies, prise de mesures, photos détaillées de chaque marque, chaque lésion, crête dorsale, pectorale, caudale, etc. On photographie même l’emplacement et l’accessibilité de la carcasse. Il faut savoir comment faire pour la récupérer afin de garder un historique des différents types d’interventions de récupérations pour améliorer notre réponse sur le terrain.
Une fois la documentation complétée, un plan de récupération est mis en place. Le lieu d’échouage est difficilement accessible par véhicule. Nous devrons donc tenter une récupération à partir de l’eau. Une fois l’équipe du RQUMM arrivée à la marina, un employé offre l’utilisation de sa pelle mécanique pour soulever la carcasse. L’équipe d’intervention prépare un filet autour de la carcasse alors que la pelle déambule sur les roches mouillées jusqu’au béluga échoué. Une fois attaché à la machinerie, l’animal est délicatement soulevé, de manière à préserver l’intégrité de la carcasse. Maintenant, il ne reste qu’à effectuer le voyage hasardeux jusqu’à la marina où se situe le camion de l’équipe d’intervention. Ce parcours s’effectue sur des roches glissantes avec une charge qui, selon l’individu, peut varier entre 0,7 à 1,5 tonne !
À 16h, un membre de l’équipe d’intervention me signale que la carcasse est bien installée et prête pour le transport. Un membre de l’équipe devra maintenant faire le long voyage jusqu’à Saint-Hyacinthe pour livrer la carcasse en main propre aux vétérinaires de la FMV qui effectueront une nécropsie complète pour déterminer les causes du décès.
De mon côté, il me reste à classer les photos de la documentation effectuée, faire le suivi aux témoins et confirmer à nos partenaires que la carcasse a été récupérée. Chaque individu est précieux pour la conservation de la population du béluga du Saint Laurent. En plus d’être petite, isolée et fragile, la population résidente de l’estuaire est soumise à de gros défis de conservation. Lorsqu’on parle d’une population de moins de 1000 individus, chaque carcasse compte, et pour beaucoup.
Soizic Percevault