Un groupe d’activistes vient d’annoncer ses plans de créer le premier sanctuaire côtier au monde pour cétacés – baleines, dauphins, marsouins – vivant actuellement en captivité. Leur projet, The Whale Sanctuary Project, vise à donner aux cétacés captifs ou secourus et inaptes à retourner dans leur habitat naturel, un nouveau milieu de vie adapté et sécuritaire, en mer. Ce projet reçoit une vague d’appuis, soulève de nombreuses questions et sème la controverse au sein des experts.

Une quarantaine d’individus – des chercheurs universitaires, des vétérinaires, des biologistes, des ingénieurs, des avocats et d’anciens entraineurs de cétacés – sont impliqués dans la conception et la gestion du Whale Sanctuary Project. Lancé officiellement le 5 mai 2016, ce projet a reçu un don initial de 200 000 $ de Munchkin inc., une compagnie de produits pour bébés, qui s’est engagée à offrir un support financier d’au moins 1 million de dollars pour la réalisation de ce projet. Le don initial sera utilisé pour la recherche du site, ce qui comprend l’étude des conditions géographiques, océanographiques et anthropogéniques de plusieurs sites côtiers potentiels, et pour le développement d’un plan stratégique pour la construction et la gestion du sanctuaire, le transport et le soin des animaux. Plusieurs sites potentiels seront examinés, le long de la côte de la Colombie-Britannique, dans le Puget Sound et le long de la côte est de l’Amérique du Nord.

« Si nous souhaitons mettre progressivement un terme à la captivité des dauphins et des baleines dans des bassins de béton, nous avons besoin d’un endroit où ils peuvent aller », explique Dre Lori Marino, présidente et directrice générale du projet, lors d’une entrevue à Radio-Canada (en anglais). Une crique, une baie ou une anse tranquille et sécuritaire, où les animaux seraient nourris et auraient accès à des soins médicaux, serait idéale, selon Dre Marino. Le site serait ouvert aux visiteurs. Dre Marino estime le coût de construction à, au plus, 20 millions de dollars et elle prévoit que le sanctuaire sera prêt à accueillir les premiers animaux d’ici trois à cinq ans.

À la suite de la parution du documentaire BlackFish en octobre 2013 et sous la pression de l’opinion publique, certains parcs aquatiques et aquariums ont décidé de mettre fin aux spectacles et à la reproduction des cétacés en captivité. Mais que faire des animaux actuellement captifs? Si ces animaux ne peuvent pas être réhabilités à la vie sauvage, est-ce qu’un sanctuaire pour eux serait une option réaliste et adéquate?

La société de parcs d’attractions SeaWorld Entertainment a pris la décision historique, en mars 2016, de mettre fin à la reproduction de ses 29 épaulards en captivité. Cette décision est lourde de conséquences, car elle implique, à terme, que SeaWorld n’aura plus d’épaulards en captivité. Par contre, SeaWorld n’a pas l’intention d’envoyer ses épaulards dans un sanctuaire. Vu l’âge des individus, le temps qu’ils ont passé en captivité et les liens sociaux qu’ils ont tissés avec les autres individus en captivité, les déplacer dans un sanctuaire marin causerait à ces animaux plus de mal que de bien, selon SeaWorld.

Comme décrit dans l’article An Oasis for Orcas, publié dans la revue Science le 6 mai 2016, les experts se posent de nombreuses questions concernant ce projet de sanctuaire et les opinions sont partagées. Quelles seront les conséquences de ce projet pour l’écosystème dans lequel ils seront introduits? Les animaux qui vivent depuis de nombreuses années en captivité seront-ils mieux dans un sanctuaire? L’énorme somme d’argent nécessaire pour ce projet serait-elle mieux investie ailleurs, par exemple dans la protection de l’habitat critique de populations sauvages qui sont en voie de disparition?

Selon Shawn Noren, une physiologiste à l’Université de Californie à Santa Cruz, qui étudie les épaulards depuis près de 20 ans, déménager un épaulard, du bassin stérile où il a passé toute sa vie, à un océan plein de créatures et de conditions qu’il n’a jamais connues auparavant, pourrait être dangereux non seulement pour l’épaulard lui-même, mais aussi pour l’écosystème dans lequel il serait introduit.

Dépenser tant d’argent pour possiblement donner une fin de vie plus agréable à certains individus, alors que plusieurs populations de baleines et de dauphins sauvages sont en voie de disparition et que nous avons un besoin urgent d’accroître les ressources pour les protéger et protéger leur habitat, choque certains scientifiques. « Je préfèrerais que cet argent soit utilisé pour la création d’aires marines protégées et pour la recherche scientifique fondamentale », annonce Richard Connor, un chercheur en comportement animal à l’Université du Massachusetts à Darmouth.

Les défenseurs des droits des animaux, les environnementalistes et les législateurs doivent aussi faire face à un nouveau défi: la forte croissance, dans certains pays émergents, du nombre de parcs aquatiques et du nombre de cétacés sauvages capturés pour être vendus à ces nouveaux parcs aquatiques. La lutte des défenseurs des droits des animaux est loin d’être terminée.

Sources :

Whale Sanctuary Project to create seaside sanctuary for whales and dolphins

Whale sanctuary group eyeing B.C. coast as potential location

B.C. coast scouted for possible whale sanctuary

An oasis for orcas

Actualité - 24/5/2016

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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