7 coups brefs et un coup long

« J’ai été réveillé par sept coups brefs suivis d’un coup long. C’est le signal d’abandonner le navire! » s’exclame mon directeur au téléphone tôt lundi matin le 4 mars. Depuis sa maison à Grandes-Bergeronnes, il observe depuis une heure un navire de marchandise à la dérive, au gré des marées et des courants. « Il était presque échoué sur la batture! L’Amundsen a dû le pousser. Maintenant, il est en face de la Pointe à John. »

Je prends mon téléphone, j’ouvre l’application Marine Traffic, une application maritime pour le suivi satellite des navires, et comme de fait, le MSC Sao Paulo V, , est à la dérive au large des Bergeronnes (les marins disent death ship), accompagné de près par un navire de la garde côtière canadienne.

Lundi, 4 mars. 10 : 00 : La centrale Urgence mammifères marins du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM) reçoit l’alerte officielle du Centre National des Urgences Environnementales : « Incendie sur le navire MSC SAO PAULO | Fleuve Saint-Laurent | Les Escoumins, QC ». Un incontrôlable brasier brûle dans la salle des machines du porte-conteneurs et rend le cargo inopérable.

La présence de ce dead ship, un navire sur lequel on n’a plus de contrôle, est un événement sans précédent dans le secteur. L’équipage n’a pas dû quitter le navire immédiatement.  Le signal Abandon ship entendu plus tôt en matinée était utilisé pour alerter les membres d’équipage de la situation. Le feu qui sévissait dans la chambre des machines privait le navire d’électricité et de son moteur.

Au RQUMM, notre travail est d’être prêt à tout, tout le temps. Lorsque nous ne sommes pas en train de répondre aux incidents signalés à la ligne d’urgence, nous sommes en train de nous préparer pour être capable de répondre de manière efficace et rapide à toutes les situations qui se présentent à nous.

 

Justement, à la fin du mois de janvier 2024, le RQUMM assistait à un atelier de coordination des interventions auprès des mammifères marins dans le cadre d’un incident de pollution maritime. L’objectif : rassembler tous les acteurs du milieu qui seraient susceptibles d’intervenir si un déversement se produisait dans les eaux québécoises, en vue de développer un plan d’intervention pour les mammifères marins.

Qui aurait cru que presque jour pour jour, un mois plus tard, un navire-cargo en détresse, long de 294 mètres, nous offrirait l’opportunité idéale pour mettre notre plan d’intervention à l’épreuve? Et sans oublier, dans notre cour arrière.

Lundi, 4 mars, 13 : 22 : nous recevons la confirmation que le MSC Sao Paulo V est finalement ancré et stabilisé au large des dunes de Tadoussac et que moins de 15 mètres d’eau séparent la coque du bateau du fond marin. Le feu brûle toujours dans la salle des machines et risque de se répandre en plus d’affaiblir la structure et l’intégrité du navire.

On s’inquiète de l’impact possible d’un échouage sur la structure du navire, qui pourrait causer un déversement de polluants dans le parc marin du Saguenay—Saint-Laurent, en plein cœur de l’habitat essentiel du béluga.

L’Anse du Moulin, un remorqueur arrivé de Baie-Comeau, tente de refroidir la coque  du navire en arrosant le métal surchauffé pendant que l’équipage du Sao Paulo V combat les flammes à bord. On craint que la marée basse force le porte-conteneur à s’échouer sur le fond marin, brisant la coque et provoquant un désastre. Tous retiennent leurs souffles. La semaine s’annonce longue.

Rapidement, un centre de commandement de la Garde côtière canadienne est installé aux Dunes de Tadoussac. Deux autres cargos de la compagnie MSC, le MSC Don Giovanni et le MSC Céline, jettent l’ancre à proximité du conteneur en détresse. En support au MSC Sao Paulo V, ils formeront une flotte impressionnante pendant cinq jours, jusqu’au remorquage du cargo vers la ville de Québec, dans la nuit du 8 au 9 mars.

Rôle du RQUMM dans l’incident du Sao Paulo V

La coordination et la mise en œuvre d’une réponse rapide et efficace par les premiers répondants auront évité un désastre d’envergure. Le travail des intervenants fédéraux impliqués est à saluer. Mais qu’en est-il du rôle du RQUMM dans la gestion de ce type d’incident? Et qu’en est-t-il des mammifères marins?

Bien qu’il existe plusieurs outils et techniques d’effarouchement de la faune lors d’un incident de déversement, il reste très difficile de dissuader des mammifères marins de circuler dans une zone aquatique contaminée. Le RQUMM, en collaboration avec ses partenaires, équipes de réponse et collaborateurs met sur pied un programme de surveillance des mammifères marins en lien avec l’incident. L’objectif est d’évaluer et actualiser au fur et à mesure que la situation se développe, les risques potentiels pour les mammifères marins du secteur.

En plus de dresser le portrait des espèces habituellement présentes dans la région en périphérie de l’incident à cette période de l’année (bélugas et phoques communs), le RQUMM collecte les dernières informations, en temps réel, de son réseau d’observateurs et d’observatrices. Depuis les rives, il et elles constatent les apparitions ainsi que les déplacements des mammifères marins saisonniers qui reviennent tranquillement dans l’estuaire.

Quelques jours avant l’incident, des bélugas et des phoques du Groenland ont été observés dans le secteur et un rorqual bleu a été observé au large du cap de Bon Désir. Ces informations sont transmises aux gestionnaires de l’incident (la Garde côtière canadienne, Pêches et Océans Canada et Environnement et changements climatiques Canada), qui adapteront les plans d’interventions selon les données recueillies.

 

Impliqué sur les tables de coordination de l’incident deux fois par jour, le RQUMM fait appel à ses partenaires pour recenser les différentes options de surveillance pour formuler, et au besoin activer un plan de surveillance mammifères marins. Tous sont mis sur le pied d’alerte ; les embarcations sont préparées, les batteries de drones sont chargées et les alertes sont envoyées pour mobiliser chaque ressource.

Heureusement, après une semaine sur le qui-vive, les équipes impliquées peuvent prendre une grande respiration. La petite flotte installée aux Dunes de Tadoussac a finalement été dissoute. En prévision d’une tempête hivernale à venir, le MSC Sao Paulo V est remorqué jusqu’à Québec, avant d’entreprendre son remorquage jusqu’au port de Halifax lorsque la météo sera plus clémente.

Patrick Weldon

Patrick Weldon s’est joint à l’équipe du GREMM comme superviseur UMM en 2022. Il occupe maintenant le poste de responsable au Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM). Anthropologiste de formation, c’est son fort lien avec l’océan qui l’a amené à vouloir s’impliquer dans la protection de l’écosystème marin.

Carnet de terrain - 14/3/2024

Collaboration Spéciale

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