C’est l’histoire d’une baleine peu commune dans notre région qui se retrouve dorénavant sous les projecteurs. Dans cet article, nous retraçons l’histoire d’un squelette de baleine à bec commune, de sa récupération en Gaspésie jusqu’à son installation au Centre d’interprétation des mammifères marins de Tadoussac.
La récupération
En septembre 2021, deux baleines à bec communes s’échouent à Listuguj, en Gaspésie. D’abord repoussées à l’eau par des policiers et des personnes de la place, elles sont perdues de vue un certain temps avant de s’échouer à nouveau, au même endroit, quelques heures plus tard. Une équipe mobile du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM) est alors appelée sur place pour évaluer la situation, tout comme le Marine Animal Response Society (MARS) et Pêches et Océans Canada (MPO).
Les deux individus de cette espèce en voie de disparition se trouvent dans une zone marécageuse. Grâce à un riverain, les spécialistes peuvent s’approcher en chaloupe et constater la mort d’une des baleines. Comme la nuit tombe, une intervention est prévue pour le lendemain. À l’aube, la baleine vivante n’est toutefois plus sur place, s’étant probablement dégagée avec la marée montante. Une nécropsie est opérée sur la carcasse restée sur le rivage, afin d’en apprendre davantage sur l’individu. Peu de temps après, à l’automne 2021, la baleine à bec a été transportée à la Ferme 5 étoiles, à Sacré-Coeur, afin de récupérer son squelette.
Selon le rapport de nécropsie, l’hypothèse la plus probable pour expliquer la présence des deux baleines dans le secteur serait : « les activités de sonar de la marine qui ont eu lieu dans les eaux au large de la côte sud de la Nouvelle-Écosse du 7 au 17 septembre. » Les baleines auraient pu être effrayées et se retrouver désorientées dans le Saint-Laurent. Aucune preuve physique provenant de la nécropsie n’a cependant pu confirmer l’hypothèse.
Rappelons qu’il ne faut surtout pas tenter d’intervenir de soi-même si vous observez une baleine échouée. Ce sont des animaux sauvages de grande taille, dont les comportements peuvent être imprévisibles. La première chose à faire est de contacter Urgences Mammifères Marins au 1-877-722-5346.
Le dépeçage et le nettoyage : un travail de longue haleine
La Ferme 5 étoiles a été, de 2021 à 2024, le terrain de jeu de plusieurs membres de l’équipe du GREMM pour la préparation du squelette de cette baleine à bec. Les ossements ont d’abord été extraits de la carcasse grâce à l’aide de courageuses personnes et placés dans des bacs de plastique pour y passer l’hiver. Pendant cette période, les petites larves d’asticots qui s’y sont installées ont aidé à dégommer des os les résidus de chair qui persistaient. Miam!
L’été suivant a été synonyme de nettoyage! Temps pluvieux ou soleil radieux, rien n’arrêtait ce travail minutieux. Les ossements ont été grattés et bouillis pour retirer les derniers résidus de chair et du gras imprégné. Puis, ils sont passés sous la machine à pression pour, encore une fois, aider à enlever les restes de chair les plus tenaces. Ce processus a été réalisé à plusieurs reprises en 2022 et en 2023, jusqu’à ce que les os soient bien propres.
En 2023 et 2024, les os ont trempé maintes fois dans une grande cuve remplie d’eau à laquelle a été ajouté un agent dégraissant. L’objectif : éliminer le petit côté gras et huileux sécrété par les os. Ensuite, place au séchage! Les os de la baleine à bec ont été déposés sur des palettes de bois à l’extérieur, toujours à la Ferme 5 étoiles. En plus de permettre aux os d’être bien secs, les rayons UV contribuent au blanchiment des os, c’est donc une étape essentielle avant de pouvoir exposer le squelette de baleine dans le CIMM! La baleine à bec a finalement terminé son périple en séchant dans un entrepôt à l’automne 2024.
Le montage, un léger casse-tête
Décembre 2024. Deux naturalistes sont chargés d’effectuer le montage du squelette qui a maintenant séché. C’est un immense puzzle qui s’en vient!
Le défi numéro un est le manque de documentation et de références, on ne sait pas à quoi ressemble un vrai squelette complet de baleine à bec. Étrange peut-être, mais aucun livre de « Monter une baleine à bec commune en 6 étapes » n’est disponible en librairie. « C’est surtout par rapport aux nageoires pectorales, explique l’un des naturalistes, car c’était un jeune individu et on ne savait pas quel os allait dans quel sens, et même que les deux pectorales avaient des os différents! »Son jeune âge implique une densité osseuse plus faible que chez un individu adulte dont les os sont complètement formés. Les côtes chez ce juvénile sont parfois reliées au sternum par du cartilage et non pas de l’ossature. Cela implique aussi que le casse-tête est légèrement plus complexe car il manque des morceaux.
Notez aussi que la carcasse ne reflète pas vraiment la réalité, car l’animal est avachi et hors de son milieu naturel. Comment est vraiment positionnée l’omoplate? Quelle forme a la cage thoracique de cette espèce? Combien de phalanges possèdent les pectorales ? Comme le souligne l’un des naturalistes, « on ne fait pas de radiographie d’une pectorale de baleine ».
L’équipe doit aussi réparer les dégâts causés lors de la récupération de la baleine. La carcasse a été ramenée sur la rive à l’aide de crochets, ce qui a endommagé certains os. Les vertèbres et le crâne bien abimés doivent être réparés à l’époxy. Assembler la colonne vertébrale « c’est comme enfiler un collier de perles, » explique l’un des naturalistes. On perce des trous dans les vertèbres pour faire passer des tiges de métal : une tige centrale et des tiges du côté droit ou gauche selon la section. Cette méthode évite au squelette de tourner sur lui-même en le stabilisant. Les omoplates sont vissées au corps, et les pectorales sont reliées par des petites tiges filetées et de la colle!
Une fois les différentes sections attachées, le squelette est mis sur un tréteau – un support en bois – fabriqué maison pour obtenir la courbure souhaitée. Et voilà le squelette prêt à être installé! Cette belle expérience aura duré moins de trois semaines.
L’installation, un travail de précision
L’installation présente aussi de gros obstacles. Début mai 2025, nos deux monteurs s’attellent à ce travail intimidant. Monter et démonter un échafaudage à l’intérieur de l’exposition est déjà une tâche ardue, mais il faut aussi faire attention aux autres squelettes. De plus, le nouveau spécimen sera placé dans un endroit difficile d’accès. Dernier inconvénient, le squelette va être installé en position de plongée, à environ 45 degrés. Après trois jours, et beaucoup d’huile de coude, le squelette sera enfin installé!
Vous avez maintenant un meilleur aperçu de l’ampleur du travail qui est nécessaire pour pouvoir admirer un squelette au CIMM. Ce squelette, et la baleine qui se cache derrière, offrent un beau témoignage de la collaboration qui existe au sein de l’équipe du GREMM, car il a permis de renforcer l’expertise et l’expérience de plusieurs pôles, du RQUMM à l’éducation en passant bien sûr par nos monteurs de squelettes!