Pour le marsouin commun, les menaces ne viennent pas seulement des activités humaines. Le plus petit cétacé à fréquenter le Saint-Laurent est aussi victime d’attaques de d’autres espèces de mammifères marins. C’est ce qui est arrivé à un jeune marsouin commun trouvé échoué vivant cet automne.

Le 24 septembre 2020, un petit marsouin commun s’échoue vivant à Penouille, en Gaspésie. Par trois fois, des agents des pêches formés pour ce genre de manœuvre ont tenté de le remettre à flots. Toutefois, le marsouin commun s’est à nouveau échoué et a finalement été euthanasié. Le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins a récupéré sa carcasse grâce au nouveau programme d’équipes mobiles. Ces équipes peuvent maintenant couvrir un plus large territoire et intervenir auprès d’animaux en difficulté, si nécessaire et lorsque possible.

Le marsouin commun a donc pu être examiné à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, en partenariat avec le Réseau canadien pour la santé de la faune et le Centre québécois sur la santé des animaux sauvages. Les résultats de la nécropsie publiés récemment ajoutent quelques informations au chapitre des attaques de dauphins sur les marsouins communs.

Une interaction musclée

Les examens ont montré que le marsouin avait environ 6 mois et n’était pas sevré. Si on exclut l’attaque, il semblait en bonne santé. De nombreuses marques de dents, parfois assez profonde pour atteindre le derme, striaient sa peau. La distance entre les lignes des dents est conséquente avec l’espacement entre les dents du dauphin à flancs blancs (Lagenorhynchus acutus), espèce fréquentant régulièrement le Saint-Laurent, et du dauphin bleu et blanc (Stenella coeruleoalba), visiteur exceptionnel du secteur.

Après analyse de la carcasse, les vétérinaires croient que l’échouage du jeune marsouin serait lié à une «interaction musclée» avec un dauphin, plus probablement un ou des dauphins à flancs blancs. Les blessures infligées étaient trop importantes pour que le marsouin n’y survive.

Lorsque des marques de dents se répètent, on les surnomme «lésions en râteaux» (rake mark en anglais). Ces marques sont fréquentes sur la peau des baleines à dents et peuvent avoir différentes profondeurs, selon la nature de l’interaction. Les dents servent aux interactions sociales chez plusieurs espèces.

Or, cette fois, l’interaction n’avait pas l’air douce. Il est possible que le jeune marsouin commun se soit fait pourchasser, harceler et blesser par un ou plusieurs dauphins à flancs blancs jusqu’à l’épuisement. L’interaction a probablement provoqué la séparation du baleineau et de sa mère.

Prédation ou méprise?

Les dauphins à flancs blancs ne sont pas connus pour manger des marsouins communs. Pourquoi attaquer un baleineau de cette espèce, alors?

Des attaques impliquant des dauphins de différentes espèces ont été recensées dans l’Atlantique et dans le Pacifique. Dans l’estuaire du Saint-Laurent, un autre cas similaire d’harcèlement causant la mort d’un marsouin commun a été documenté en 2012.Les hypothèses expliquant ce type de comportement varient. Il pourrait s’agir de compétition pour de mêmes ressources alimentaires. De plus, des cas d’infanticide ont été documentés chez certaines espèces de dauphins. En tuant un baleineau, les mâles peuvent ainsi avoir plus facilement accès à une femelle durant la saison de reproduction. Le ou les dauphins à flancs blancs ayant fait l’attaque ont-ils confondu la femelle marsouin ou le baleineau avec un de leurs congénères? Ce comportement pourrait aussi en être un de jeu ou encore un comportement sans explication, dit «aberrant».

Les interactions interspécifiques sont encore peu connues chez les cétacés. Les marsouins communs sont aussi victimes à l’occasion d’attaques de phoques gris. Toutefois, dans ces cas, il s’agit bien de prédation, où le phoque gris se nourrit du marsouin.

Si vous trouvez un cétacé échoué vivant, composez sans tarder le 1 877 722-5346, la ligne d’urgences pour les mammifères marins.

Pour en savoir plus

  • (2012) Larrat, S., Measures, L. N., et Lair, S. Rake marks on a harbor porpoise (Phocoena phocoena) calf suggestive of fatal interaction with an Atlantic white-sided dolphin (Lagenorhynchus acutus). Aquatic Mammals DOI: 10.1578/am.38.1.2012.86
  • (2015) Leopold MF, Begeman L, van Bleijswijk JDL, IJsseldijk LL, Witte HJ, Gröne A. Exposing the grey seal as a major predator of harbour porpoises. Proc. R. Soc. B 282: 20142429. http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2014.2429
Urgences Mammifères Marins - 2/3/2021

Marie-Ève Muller

Marie-Ève Muller s’occupe des communications du GREMM depuis 2017 et est porte-parole du Réseau québécois d'urgences pour les mammifères marins (RQUMM). Comme rédactrice en chef de Baleines en direct, elle dévore les recherches et s’abreuve aux récits des scientifiques, des observateurs et observatrices. Issue du milieu de la littérature et du journalisme, Marie-Ève cherche à mettre en mots et en images la fragile réalité des cétacés.

Articles recommandés

Une baleine à bec échouée sur l’ile d’Orléans

Le 23 octobre dernier, une carcasse de baleine à bec commune est retrouvée sur les berges de Saint-Jean-de-l'Île-d'Orléans, près de…

|Urgences Mammifères Marins 7/11/2024

Les cétacés hors habitat

Quelle ne fut pas la surprise des citadins et citadines de Montréal lorsqu’un rorqual à bosse s'est rendu dans le…

|Urgences Mammifères Marins 31/10/2024

Petit rorqual à La Baie – En direct

Depuis le mois d’aout, un petit rorqual est observé dans le secteur de La Baie, au Saguenay. L’animal se trouve…

|Urgences Mammifères Marins 16/9/2024