Le 6 novembre dernier, volant au-dessus du golfe, à quinze kilomètres de la Baie-Johan-Beetz, un pilote d’hélicoptère remarque une masse grisâtre gisant dans les eaux peu profondes en bordure d’une petite île. En survolant l’endroit, il parvient à photographier la créature en question: un cachalot étalé de tout son long, sans vie, la gueule grande ouverte dans l’eau.
Bien avisé, il ne tente pas de s’en approcher par lui-même. Il use plutôt de ses contacts pour faire parvenir l’information au Réseau d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM) – premiers répondants en matière de secourisme de mammifères marins.
Agir ou ne pas agir?
Le pilote d’hélicoptère, incommodé par un accès au réseau cellulaire limité, parvient à transmettre les coordonnées GPS permettant de localiser la bête seulement le jeudi de la même semaine, soit près de quatre jours après l’observation initiale. Ce délai engendre des complications dans l’évaluation de la situation, puisqu’en un tel lapse de temps, la carcasse peut facilement s’être déplacée avec les courants marins. L’équipe pourrait donc déployer des efforts considérables pour atteindre une localisation difficile d’accès où elle pourrait finalement ne trouver que des traces du passage de l’animal. De plus, s’il est encore sur les lieux, la conservation du corps, déjà en état de décomposition avancé, pourrait s’être drastiquement dégradée. Parmi les membres du RQUMM, des questionnements se soulèvent : est-ce même réaliste de tenter d’atteindre l’animal ? Qu’est-il possible de faire dans l’immédiat ?
Face à un tel dilemme, deux facteurs majeurs jouent dans la balance : l’intérêt scientifique de la carcasse et la facilité d’accès à cette dernière.
Une découverte intrigante
Y a-t-il un projet de recherche d’amorcer sur cette espèce? L’espèce est-elle menacée? Le squelette de cet individu peut-il être d’un intérêt particulier? Ce sont le genre de considérations que les membres du RQUMM et leurs partenaires doivent prendre en compte lors de l’analyse de l’intérêt des carcasses.
Dans le cas du cachalot macrocéphale, sa présence sur cette plage peut être intéressante d’un point de vue scientifique, puisque cette espèce s’avère très peu présente dans les eaux du Saint-Laurent. On peut notamment se questionner sur ce qui explique cette trouvaille singulière dans les environs de la Baie-Johan-Beetz.
Près de 30 individus seulement ont été photographiés par le GREMM à travers les années et aucun cachalot depuis 2009 n’a fréquenté régulièrement l’estuaire. Il y a bien eu, cet été, deux individus qui se sont aventurés près de Sept-Îles, mais ces derniers ne se sont pas attardés dans le secteur. Le dernier cachalot a avoir visité annuellement l’estuaire a été prénommé Tryphon, à l’image des encoches sur la bordure de sa queue. Celui-ci est malheureusement mort à la suite d’un empêtrement dans un engin de pêche, 18 ans après sa première observation dans le secteur. Depuis, aucun individu ne s’est déplacé régulièrement jusque dans les eaux du Saint-Laurent.
Étant donné le caractère rare de sa présence dans le Saint-Laurent, aucun programme de recherche n’est dédié spécifiquement au cachalot au Québec. Son espèce n’est pas non plus menacée, l’UICN lui accordant plutôt le statut d’espèce vulnérable. Considérant la difficulté d’accès à l’animal échoué et l’incertitude quant au positionnement et à l’état actuel de la carcasse, il n’est donc pas primordial pour l’équipe d’urgence de récolter des données dans l’immédiat.
Une carcasse isolée
Par ailleurs, le corps du cachalot se trouve à 600 mètres du rivage le plus près, il n’est donc accessible qu’en bateau. En outre, les berges où les spécialistes pourraient tenter d’installer une rampe afin de mettre une embarcation à l’eau se trouvent à des kilomètres de la route la plus proche, au milieu d’une zone marécageuse et rocailleuse, ce qui rend l’endroit difficilement accessible et la mission peu sécuritaire.
À la lumière de toutes ces informations, le RQUMM juge finalement qu’il est préférable de ne pas agir pour l’instant. Prenant également en compte la possibilité que l’animal se soit déplacé avec les marées, l’équipe choisit d’attendre un nouveau signalement. Entre temps, le pilote devrait survoler à nouveau les lieux dans les prochaines semaines. Si la carcasse s’y trouve toujours, les membres du Réseau évoquent la possibilité de se rendre sur place cet hiver en motoneige, lorsque la glace entourant la bête sera suffisamment solide, afin d’évaluer à nouveau la situation.