Par Anik Boileau, chercheure en sciences vétérinaires et directrice du CERSI

Lorsque l’automne arrive dans la région de Sept-Îles, il n’est pas rare de retrouver les grands rorquals plus à l’ouest de la baie Sainte-Marguerite à la hauteur de Port-Cartier. Le 27 septembre dernier, c’est à 8h pile que nous partons depuis le quai de Port-Cartier avec notre collaborateur Jacques Gélineau. La mer n’est pas d’huile, mais tout de même très calme, le vent étant du sud-ouest à moins de 5 nœuds.

L’immensité est devant nous et un choix de secteur de recherche s’impose. Jacques est sorti la veille et il a pu photo-identifier deux rorquals bleus dans le secteur ouest. C’est une première piste pour nous aider à dessiner notre itinéraire. Soudainement, après seulement 4 minutes de navigation, le téléphone de Jacques sonne : c’est Larry Mercier et Richard Blais, des observateurs assidus, encore plus lève-tôt que nous! «Nous avons une bleue, 6 communs et deux bosses au sud-ouest de l’ile du Corossol.» «Parfait, lance Jacques, on arrive!» L’immensité du large devient soudainement une route bien définie non seulement sur le tableau de bord, mais également dans nos regards.

Après 15 minutes, nous apercevons de grands souffles et un petit bateau. C’est certainement Larry et Richard. Nous approchons doucement de la zone afin de ne pas stresser les animaux et nous arrêtons le bateau. L’attente semble toujours longue, mais pendant ce temps, nous préparons nos feuilles de collecte de données et notre équipement : chronomètres, éthogramme à la vue, caméras prêtes avec les lentilles adaptées, drones prêts à décoller!

Après 12 minutes, enfin un rorqual commun souffle près de nous! Nous approchons doucement pour nous positionner parallèlement du côté droit afin d’avoir une photo-identification de son chevron. Ouf, un deuxième individu fait surface juste derrière! C’est une paire! Tout comme les rorquals bleus, les rorquals communs sont souvent observés en paire à l’automne. Est-ce un comportement associé à la reproduction pour les rorquals communs également? Aussitôt que les animaux sondent, nous apercevons deux autres souffles plus à l’ouest.

Jacques s’affaire à remplir les feuilles de données. Depuis une quinzaine d’années, il s’intéresse à la corrélation entre la géolocalisation des différentes espèces et la topographie sous-marine. Une fois que la prise de note est faite, nous nous dirigeons plus à l’ouest pour tenter de repérer les deux nouveaux souffles.

Après sept minutes de voyagements, surprise, nos deux souffles mystères sont ceux d’une femelle rorqual à bosse : Hockey (nommée dans le catalogue de la Station de recherche des iles Mingan (MICS)) avec son baleineau! Cette femelle a une marque très distinctive sur le lobe gauche de sa nageoire caudale ou le nom «Jo» semble être écrit, comme un graffiti! «Pourquoi se nomme-t-elle Hockey alors?», se questionne Jacques. Je crois que le J ressemble à un bâton de Hockey et le O à une rondelle!

Le 19 juin dernier, nous avions observé Hockey et son baleineau au sud de l’ile du Corossol. Le baleineau avait quelques pustules et lésions cutanées sur les flancs droits et gauches derrière la nageoire dorsale. Dans notre suivi du bienêtre et de la santé des rorquals à bosse et rorquals communs du Saint-Laurent, c’est exactement le genre de situation que nous voulons documenter! Nous restons assez loin de la paire pour ne pas les stresser, mais grâce aux lentilles puissantes de nos appareils photo, nous pouvons prendre des photos importantes révélant malheureusement une détérioration de la condition cutanée du baleineau, que nous avons surnommé Picotine.  

De retour dans nos bureaux, la recherche continue afin de trouver quelle maladie notre baleineau pourrait bien avoir. Une revue de littérature nous pointe vers différentes pistes: lobomycose, poxvirus, calicivirus?

Les maladies de peau chez les cétacés sont plus fréquemment recensées depuis une vingtaine d’années, et ce, à l’échelle internationale. Ce phénomène semble attribué à la dégradation de l’environnement et un lien étroit a été établi avec le taux de salinité présent dans l’écosystème marin. L’étiologie (mot d’origine grecque qui veut dire recherche des causes) pointe vers trois origines possibles : virale, bactérienne ou mycologique. Si nous analysons les lésions cutanées de Picotine, nous procédons d’abord par élimination, ce qu’on appelle un diagnostic différentiel. Il semble que les lésions sont de type ulcéreuses, donc nous pouvons éliminer le poxvirus, car les lésions sont comme des taches rondes, appelées «lésions tattoo» (tattoo skin disease). Nous procédons ainsi de suite jusqu’à avoir une idée plausible sur l’origine de la condition. Naturellement, nous ne pouvons établir un diagnostic officiel, car cela nécessiterait un échantillon de peau et une analyse en pathologie vétérinaire effectuée à la Faculté de médecine vétérinaire à Saint-Hyacinthe. Par contre, comme d’autres chercheurs le font, nous pouvons catégoriser la condition comme étant maladie de peau nodulaire non spécifiée. Peut-être aurons-nous l’occasion de faire analyser un échantillon de peau afin d’avoir un diagnostic précis!

Depuis le 27 septembre, nous n’avons pas revu Picotine et sa mère Hockey. Sont-elles déjà parties pour la longue migration vers les eaux plus chaudes? Une chose est certaine, nous espérons qu’elle nous revienne l’été prochain en meilleure santé!

Carnet de terrain - 31/10/2019

Collaboration Spéciale

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