Une nouvelle étude publiée dans le journal Experimental Biology soutient que les sonars militaires peuvent influencer le comportement des rorquals bleus étudiés au large de la Californie. Lorsqu’exposés au son d’un sonar militaire de moyenne fréquence (1-10 kHz), près de la moitié des rorquals bleus s’alimentant en profondeur ont changé leur trajectoire ou ont cessé de s’alimenter. Ces sonars sont utilisés à travers le monde, incluant au Canada, et servent généralement à la détection de navires, de sous-marins et de mines. Une exposition chronique à ces sons serait inquiétante pour les rorquals bleus, car une alimentation interrompue de manière fréquente et des déplacements soudains pourraient affecter leur santé.
Et les bleus du Saint-Laurent?
Les rorquals bleus qui fréquentent le Saint-Laurent font partie de la population de l’Atlantique Nord-Ouest, une population distincte de celle étudiée en Californie. Cependant, elle est aussi exposée aux sonars dans une partie de son territoire. Cette population étant en voie de disparition, ce dérangement pourrait-il nuire à son rétablissement?
Estimée à moins de 250 individus, la population des rorquals bleus de l’Atlantique Nord-Ouest fait face à plusieurs menaces telles que la contamination de l’eau et de leurs proies, les collisions avec les navires et, surtout, la pollution sonore. Le transport maritime, l’exploration sismique et, dans une moindre mesure, les sonars sont les principales sources de pollution sonore touchant cette population.
« L’exploration sismique et le trafic maritime présentent de plus grandes menaces pour les rorquals bleus de l’Atlantique Nord-Ouest que les sonars militaires », indique Christopher Clark, chercheur en acoustique marine.
Les entrainements militaires utilisant les sonars sont plus fréquents sur la côte ouest de l’Amérique du Nord que sur la côte est, ce qui fait que les sonars militaires sont peu présents dans l’Atlantique Nord-Ouest. Selon Christopher Clark, les rorquals bleus sur la côte est restent beaucoup plus au large que ceux en Californie. Les côtes abruptes de la Californie permettraient aux rorquals de s’approcher davantage des sonars qu’ils le pourraient sur la côte est, les exposant ainsi à des sons d’intensité plus élevée.
Une menace plus importante serait donc l’exploration sismique. Les sons des canons à air comprimé utilisés pour l’exploration sismique peuvent traverser de grandes distances. Christopher Clark qualifie l’océan de «transparent» aux bruits de ces canons. En effet, «des Caraïbes, nous pourrions entendre l’exploration sismique effectuée au large de la Nouvelle-Écosse, de l’Irlande et du Brésil», explique-t-il.
C’est entre autres les fréquences de ces sons qui leur permettent de voyager aussi loin. Les canons à air comprimé produisent des sons de basse fréquence (fréquemment sous les 200 Hz) pouvant pénétrer dans la croute terrestre afin de détecter la présence de pétrole et de gaz naturel. Cependant, ces fréquences sont similaires à celles entendues et produites par le rorqual bleu (généralement entre 15 et 100 Hz). Ainsi, les sons des canons à air comprimé peuvent entraver leur communication et influencer leur comportement. Par exemple, des rorquals bleus ont été observés produisant plus d’appels les jours où de l’exploration sismique avait lieu aux alentours que les jours sans exploration sismique. En produisant plus d’appels, les rorquals bleus augmenteraient leurs chances d’être entendus par les autres individus de leur groupe. Mais au cours d’autres études, des rorquals bleus ont aussi été observés réduisant ou ne modifiant pas la fréquence de leurs appels en période d’exploration sismique.
D’autres effets seraient dus aux sons produits lors d’exploration sismique. Par exemple, les rorquals bleus peuvent s’éloigner de la source de bruit. L’animal utilise alors de l’énergie et du temps pour s’éloigner plutôt que pour se nourrir, se reproduire ou socialiser. De plus, la puissance des sons pourrait blesser l’animal et causer une surdité temporaire ou permanente.
Un trafic maritime intense
L’augmentation constante du trafic maritime est également inquiétante pour le rétablissement de cette population de rorquals bleus. La majorité des bateaux composant le trafic maritime produisent eux aussi des sons de basse fréquence. Par exemple, l’estuaire du Saint-Laurent est une zone de haut trafic maritime et les rorquals bleus fréquentant ce secteur produisent des sons de fréquences plus variées que dans d’autres parties de l’Atlantique, selon un étude publiée dans le Journal of the Acoustical Society of America. Les auteurs de l’étude indiquent qu’ils modifieraient possiblement leurs vocalises afin qu’elles soient entendues par leurs congénères malgré la pollution sonore.
Bien que le son des sonars militaires puisse influencer le comportement des rorquals bleus, l’exploration sismique et le trafic maritime constituent des menaces plus importantes pour cette espèce. Pour permettre à la population de se rétablir, la planification des périodes d’exploration sismique en fonction des périodes de migration des cétacés pourrait être considérée. Omniprésente, la pollution sonore est une menace qui pourrait être atténuée rapidement. En effet, lorsqu’une source de bruit n’est plus présente, la pollution sonore causée par ce bruit cesse immédiatement.