Loin au large à l’est de Pointe-Paradis, cinq formes noires imposantes font ponctuellement surface pendant parfois une dizaine de secondes : « des rorquals! » s’exclame Daniel Dorais, « mais de quelle espèce? Difficile à dire… » À cette période de l’année, M. Dorais peut s’estimer chanceux d’avoir pu encore discerner des silhouettes de grands cétacés. Pour le reste de nos valeureux promeneurs et travailleurs du fleuve, l’observation de la semaine qui nous sera rapportée sera presque la même : le couvert de glace est maintenant très étendu. Hormis un employé du centre SCTM aux Escoumins qui a observé un rassemblement de 52 phoques du Groenland, ce sont seulement, ça et là, quelques pinnipèdes qui sont vus. Ils sont parfois si loin du rivage qu’il n’est pas toujours facile de les reconnaitre. Deux espèces reviennent cependant régulièrement dans les commentaires de nos observateurs chanceux : phoque du Groenland ou phoque commun.
Depuis quelques semaines, plusieurs riverains étaient préoccupés : l’étendue de glace semblait lente à se former. Mais aujourd’hui, il n’y a plus trop de doute, il est maintenant bien là, ce désert de glace qui s’étend presque sans discontinuité.
Pour ceux qui sont seulement venus en été sur les rives du Saint-Laurent, l’hiver est un choc! Que ce fleuve change en six mois! Son apparence se modifie, et les espèces de mammifères marins qu’on y trouve aussi. Concernant les pinnipèdes, seuls les phoques communs font partie des espèces résidant à l’année dans le saint-Laurent. Vivre dans un environnement si changeant doit être un défi et il n’est pas rare d’observer des modifications importantes du comportement de ces phoques pendant l’hiver. C’est le cas par exemple de leurs plongées. Les phoques communs en augmentent la fréquence et la profondeur pendant l’hiver. Pourquoi? La majorité de leurs proies restent dans l’estuaire du Saint-Laurent pendant la saison hivernale, mais beaucoup d’entre elles se retrouvent dans des eaux plus profondes. Or, c’est à cette saison que les phoques communs ont besoin de refaire leurs réserves d’énergie pour la reproduction et la mue. Pour les femelles gestantes, il ne reste que quatre petits mois avant la saison de mise bas, c’est le moment de se nourrir abondamment quitte à plonger loin sous l’eau!
Le phoque commun de l’estuaire du Saint-Laurent est considéré comme fragile par certains intervenants du milieu. L’arrivée de la glace qui semble assez tardive cette année a suscité quelques questionnements quant aux modifications que cela pourrait entrainer sur les espèces dont le couvert de glace est un habitat. Selon Dany Dumont, professeur en océanographie à l’Université du Québec à Rimouski, les étendues maximales de glace en hiver présenteraient une tendance à la décroissance. Des hivers avec beaucoup de glace semblent donc de moins en moins probables. Comment ces modifications même faibles pour le moment vont-elles affecter les phoques communs? Difficile de le prédire encore.